Brian Lowry dirige la rubrique de critique télé du célèbre hebdomadaire de l'industrie hollywoodienne « Variety ». Brian Lowry possède un avis de poids pour le futur de n'importe quelle production. Sous sa plume, une série peut connaître la grâce ou la déchéance. Observateur implaccable de ce milieu depuis 20 ans, Brian Lowry ne mâche jamais ses mots. Les TV « Producer » hollywoodiens sont une énigme pour nous, observateurs venus de France, pouvez-vous éclairer notre lanterne ? Aux Etats-Unis, celui que l'on dénomme génériquement « producer » est un mélange d'auteur, celui qui écrit pour vivre mais aussi de producteur comme vous pouvez le concevoir chez vous en Europe (compétences financières, artistiques…). Ce personnage, dans un contexte télé, est la véritable star de son industrie, son savoir-faire déclenche tout un processus créatif sur lequel il garde constamment la haute main, si l'on enlève le final cut de la chaîne. Etre « producer », cela signifie savoir être polyvalent et visionnaire. Après, il existe toute une hiérarchie de producers, certains ont des domaines de prérogatives restreints tandis que d'autres supervisent tout, ces derniers s'appellent des showrunners car ce sont eux qui font avancer la production. Les plus doués de ces producers sont connus du grand public, font-ils venir les téléspectateurs sur leur seul nom ? Des gens comme Steven Bochco, Dick Wolf, John Wells arrivent à mieux promouvoir une série en jouant du fait qu'elle est crée par « l'inventeur de NYPD Blue », de "Law and order" ou de "ER". Cela dit, on est loin de l'aura des grands réalisateurs cinéma tels Steven Spielberg ou Woody Allen qui possèdent réellement un réservoir de public qui ne loupe pas un seul de leurs films. On s'y perd un peu. On a du mal à comprendre si ces « producers » sont des créatifs ou des businessmen ? Les plus grands producteurs télé de l'histoire sont indéniablement les deux ! L'imagination est une qualité primordiale cela dit il faut aussi savoir bien s'entourer et trouver des gens capables à tous les endroits de la chaîne, créative, commerciale, financière. L'exemple de Dick Wolf est éloquent. Il n'écrit pas beaucoup mais il surpervise avec une main de fer sa franchise "Law and Order" dont une des séries (« Law and Order ») est en passe de battre le record de saisons (20 !) à la télévision américaine et deux autres marchent très bien. Wolf se contente d'impulser un esprit. Il se concentre sur les batailles de la revente qui vont générer des profits qui vont lui permettre de financer de nouvelles séries. Pour en revenir à votre question, les grands producteurs télé ont quand même tendance à être de grands auteurs. La télé est le nerf de la guerre pour les grands studios. C'est un business qui a l'air extrêmement profitable ? Les sommes qui sont en jeu sont colossales. Pour vous donner une idée, un Producer peut gagner jusqu'à 200 000 dollars par épisode durant une saison qui compte 22 ou 24 épisodes. Et ensuite, il y a toutes les questions de la revente de la série. Des shows comme « Seinfeld » ou « Everybody loves Raymond » ont atteint récemment le milliard de dollars de gain. Dans ce cas de figure, le créateur peut prendre jusqu'à un tiers ou 40% de cela ! Donc on parle souvent en centaines de millions de dollars ! Parlez-nous de producteurs historiques ? Je dois tout d'abord préciser que quiconque crée une série dans cette industrie imprévisible est un chanceux, celui qui crée deux séries est réellement un acteur de poids de l'industrie. C'est une des choses les plus dures au monde d'arriver à l'antenne et d'exister sur la durée. Des gens comme Aaron Spelling, Norman Lear, Stephen J .Cannell, Steven Bochco, David E.Kelley, Donald Bellisario sont vraiment des producteurs qui ont montré qu'ils avaient la capacité à mener une voire plusieurs productions conjointement. Bellisario par exemple, est un mec très intelligent ; Pas le meilleur auteur, mais quelqu'un de sérieux qui saît maîtriser les coûts, qui sait ce qu'il veut. C'est ce genre de personnage qui rassure les networks car il connaît son métier et ne va pas vous ruiner en changeant d'avis toutes les cinq minutes. Ces gens-là sont vraiment les seuls grands personnages du hollywood télé. Les acteurs viennent loin derrière dans un medium où c'est plus le show qui fait la star que la star qui fait le show. Le contre-pouvoir se situe dans les chaînes. Ces dernières restent décisionnaires de ce qu'elles veulent passer sur leur antenne. Comment analysez-vous l'évolution de la fiction ? Je dirais que la renaissance de la télé est née de la fragmentation. La fragmentation des publics signifie que l'on va vers des produits par définition plus pointus, plus intéressants. La télévision est allée vers la fragmentation tandis que le cinéma est allé vers le produit universel. Le blockbuster calibré où une histoire est construite autour d'une colonne vertébrale d'effets spéciaux. Les producteurs télé n'ont pas les budgets pour faire ça. ils n'ont pas 115 millions de dollars à passer dans un gros épisode de deux heures. Non, eux, ils ont besoin de personnages, des personnages qui ont l'obligation d'être remarquablement écrits. Ce qui a tout fait basculé, en fait, c'est "Star Wars". Tout le monde a voulu imiter George Lucas et créer un film, une franchise aux valeurs universelles. Le cinéma a choisi cette direction de la globalisation avec des blockbusters qui doivent frapper en un temps record et puis disparaître jusqu'à la sortie du DVD ou du jeu vidéo. Et pour la télé alors ? A la fin des années 80 et au début des années 90, le jeu changé. La télévision avait vêcu un âge d'or du point de vue de ses ressortissants qui gagnait beaucoup d'argent même quand ils n'avaient pas beaucoup d'idées. Le gouvernement a autorisé une chaîne de télé à posséder sa propre division de production. C'est l'époque des regroupements massifs dans l'industrie de l'entertainment US. Les scénaristes télé ont commencé à être l'objet de beaucoup d'attention. Les gens qui étaient aux manettes de ces énormes conglomérats devaient des comptes à des actionnaires. Il n'était donc plus question de faire n'importe quoi. Fin des deals fabuleux avec des gens improductifs, fin des idées complètement barrées. Place aux profits maximum. Le système a connu quelques années de flottement et l'explosion de la bulle internet, le 11 septembre et l'apparition de la télé-réality n'a rien arrangé. Il y a eu peu à peu consolidation et là les patrons de division ont eu à nouveau le feu vert pour prendre des risques. Vous ne parlez pas du câble ? J'allais y venir. HBO a effectivement révolutionné la fiction télé en proposant des séries très pointues. Mais tout ceci n'a été possible que grâce à la consolidation de l'Empire Time-Warner qui a validé la politique désormais audacieuse d'HBO en matière de série. Dix ans auparavant personne n'aurait fait "Les Sopranos". Les sopranos existent car le cinéma est incapable de les faire. Même "The West Wing", une série sans sexe et sans explosion, peuplée de gens qui racontent des choses sérieuses, parfois même complètement novatrices d'un point de vue civique, ça ne se voit plus au cinéma, ou alors dans des proportions tellement confidentielles que ça ne compte pas. Qui a changé ? les responsables de chaîne ou le public ? L'audience n'a pas tant changé que ça. En tout cas pas en terme de ce qu'elle aime mais plutôt de comment elle regarde. La famille ne regarde plus de programme réunie. La mère a sa série, les enfants les leurs, quand ce n'est pas un jeu vidéo, il est devenu dur d'accrocher de très grandes audiences. Donc la mode s'est déplacée vers les publics de niches qu'une fiction très typée touche plus facilement. C'est plus facile de faire une fiction pour 10 personnes que 10 millions de personnes. Les séries n'arrêtent pas de franchir des paliers toujours plus haut en terme d'audace ? Pourtant, il y a une pression terrible contre beaucoup de choses aux USA ? Il y a toujours eu un débat sur cette nécessité d' "assainir" la télévision. J'ai entendu cela à toutes les époques. Ma conviction, c'est qu'on ne revient jamais en arrière. Dès qu'une série pousse le bouchon un peu loin, il y a des gens inquiets, on stagne mais c'est pour mieux repartir vers l'avant la saison suivante. Si ce n'est pas sur un network, c'est sur le câble premium puis sur Internet… Aller de l'avant, c'est la nature même du business. |
lundi 26 janvier 2009
La télé US by Brian Lowry
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