vendredi 22 mai 2009

séries de rêve (2) MOONLIGHTING









Par où peut-on bien commencer un texte dans lequel il est question de Moonlighting ? Faut-il raconter par le menu les pitreries de Bruce "David Addison" Willis ? peut-être, décrire la plastique irréprochable des jambes (interminables) de Sybill Shepard ? analyser la musique du générique signée Al Jarreau, pur moment des eighties ? étudier les vers d'Agnès Dopisto ? (rigolos même en français...), repenser aux portes qui claquent à tout bout de champ faisant ressembler l'agence de détective, lieu récurrent de la série, à un décor de pièce à la Feydeau ? ou encore décrypter religieusement l'incroyable brochette d’épisodes spéciaux (Rock around Shakespeare…) que nous a offert Glen Gordon Caron, l'un des showrunners les plus doués de sa génération ? Non, vraiment impossible de choisir. Moonlighting pour moi tient de l'impression diffuse, comme souvent avec les grandes séries, celles qui représentent plus qu'un simple moment de divertissement. Des souvenirs gravés dans nos mémoires de téléphiles, il me semble. Moonlighting, c'est indiscutablement le lycée, la première télé dans sa chambre, les débuts d'M6. Et puis les vendredis soirs où les dimanches après-midi, case horaire où la série était programmée avec bonheur. On passait allégrement de Wonders years à Love and married. On zappait pour voir Un flic dans la mafia. Mais la meilleure de toutes les fictions du moment restait Moonlighting. On regardait l’une des séries les plus étonnantes de l’histoire de la télé. On s'appelait les uns les autres pour discuter des épisodes. Le chat version France télécom. On n’en reverrait plus de sitôt des comme cela. Tiens, voilà ce qu'on peut dire pour commencer un texte sur Moonlighting : cette série est unique.

Ce qui a véritablement marqué Moonlighting et qui en fait un classique, c’est son rapport avec sa nature même de série télé. Jamais dupe concernant ses modestes origines, Moonlighting n’est pas une pièce de théâtre, ni une série de romans ou un film hollywoodiens qui transfigure une époque. Pas de messages cachés non plus. Non, la série de Caron mesure juste, épisode après épisode, combien il est dur d’offrir un rendez-vous à un public (relativement nombreux puisque la série intégrera assez régulièrement le Top 10 US) et de ne jamais tomber dans la facilité. Pour combattre ce problème, la série aura recours à l’auto-dérision et le hors-champs, n ‘hésitant pas à devenir un épisode trop court dans lequel il faut « remplir » les dernières scènes (en chantant par exemple), un épisode sans générique (car son interprète Al Jarreau est coincé dans le trafic) ou encore une comédie musicale artistiquement que broadway n'aurait pas renié, Moonlighting cache derrière sa fantaisie une des productions les plus rigoureuses de l'histoire de l'industrie télé. Celle où chaque envie a sa concrétisation à l’écran. Rêve absolu de showrunner, cauchemar du même rang pour le studio qui la produit (ABC Circle Films), Moonlighting peut faire rire ou pleurer parce qu’elle est artistiquement intouchable.

Moonlighting fait partie de ces projets qui n'auraient jamais dû existé. Le pitch de quelques-uns des épisodes suffirait à vous faire éliminer par des tueurs à gages engagés par les chaines de télévision. Produite en pleine période de la Quality Television (cf. post sur Hill street blues), la série de Glen Gordon Caron a bénéficié du vent nouveau qui soufflait dans les networks à cette époque-là. L'innovation devait aider chacune des trois grandes chaînes (le réseau fox était sur le point d'arriver et la fiction sur HBO n'était qu'une blague que se faisaient les executives des chaînes devant la machine à café) à revenir au sommet des classements d’audience. L'horizon était encore au beau fixe. Et pour qu'il le reste, on n'avait pas trouvé mieux que de demander à des créateurs de développer une télévision qui sortait des normes. Une télévision qui n'avait pas peur d'être complexe, inédite, surprenante. Steven Bochco, Tom Fontana, David Milch, Robert Frost, Marshal Herkowitz et Ed Zwick, John Wells ont bâti cette fiction des années 80 et en ont fait le creuset d'oeuvres que même l'âge d'or HBO, une décennie plus tard, n'égalera (car dans un tout autre genre) jamais totalement.

Moonlighting est une série indispensable car elle est une sorte de résumé de ce que sait faire Hollywood. Tour à tour comédie sentimentale digne des screwball comedies, empruntant, sans la dénigrer, à la culture du théâtre de boulevard (qui conduit, comme chacun le sait, bien souvent à la sitcom), délivrant des clins d’oeils magiques au monde de Broadway, à celui du roman noir, des classiques du polar, les aventures de David Addison et Maddie Hayes relèvent de l’entertainement global. On ne sait jamais à quelle sauce on va être mangé. Numéro de claquette, épisode à la manière de « La vie est belle » de Frank Capra ou grand numéro romantique. Car, Moonlighting, c’est une frénésie d’idée esthétique et narrative mais c’est surtout Maddie et Dave. Des couples comme ça sont extrêmement rares. Ils nous font rire, pleurer (presque) notamment dans le fameux final season de la laverie automatique… Bien d’autres depuis se sont essayés au genre mais personne n’a su recréer le cocktail si particulier de cette agence de détective complètement exsangue dont les employés ne travaillent jamais et dont les deux dirigeants n’ont qu’une unique et réelle activité : séduire l’autre.

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