Le créateur de Reporter(s), l'une des séries les plus abouties du moment a pris un peu de son (précieux) temps pour répondre à quelques questions que j'avais envie de lui poser sur sa série, mais aussi sur le reste de sa carrière. Merci beaucoup à toi Olivier.
— Quel est ton parcours jusqu'à l'écriture de télévision ?
J’ai commencé par la critique de cinéma, à « Positif », de 1990 à 1998. Cela m’a évidemment appris à comprendre et formuler ce que je ressentais devant un film. En parallèle, pour gagner ma vie, j’ai commencé à lire des scénarios, d’abord de séries ou de téléfilms, puis aussi de longs métrages, pour différentes maisons de productions, mais surtout pour M6. Ça a été ma formation à la direction littéraire. Ensuite, j’ai été chargé de programmes à M6 pendant 1 an, en 1995 je crois. Premier contact avec les producteurs et les auteurs, apprentissage de la discussion autour d’un scénario. Puis passage du côté de la production : j’ai fait plusieurs petits boulot avant d’arriver à Capa Drama en 1998. J’ai commencé comme conseiller littéraire sur des « Combats de Femmes » (une collection de téléfilms pour M6 réalisés par des réalisateurs de cinéma comme Emmanuelle Bercot, Diane Bertrand, Lucas Belvaux…), et une série pour TF1 qui s’appelait Le Bahut. Ensuite, je suis devenu directeur littéaire, sur des projets comme Police District ou S.A.C pour Canal. Et enfin producteur artistique (producteur littéraire + travail sur le casting, les repérages, le tournage…) sur Age sensible, pour France 2, en 2000-2002. Le passage à l’écriture s’est fait en 2004 : Canal+ avait fait un appel d’offres pour une série sur les journalistes, et à la suite d’un concours de circonstances, j’ai été amené à écrire une quinzaine de pages que Claude Chelli a trouvées suffisamment présentables pour les envoyer à Canal. Et c’est le projet qu’ils ont retenu. Date à graver d’une pierre blanche !
— Parle-nous du rôle ingrat de la Direction littéraire ? Ce rôle doit-il évoluer ?
Je ne trouve pas que ce soit un rôle ingrat. Mais d’abord, entendons-nous sur les termes : pour moi, un directeur littéraire, c’est un salarié dans une maison de production, dont le rôle est de chercher des sujets, des auteurs pour les écrire, et d’accompagner les auteurs dans l’écriture en étant leur premier lecteur. Il n’écrit pas, mais il lit, écoute, comprend, discute, suggère, et éventuellement coordonne et supervise quand il s’agit d’une série. C’est banal de le dire, mais c’est un travail d’accouchement, mais — c’est important — d’accouchement réciproque. J’ai toujours ressenti que les séances de travail les plus fructueuses étaient celles durant lesquelles je changeais de regard sur le scénario à cause de ce que le scénariste me disait, et vice-versa. On n’arrive pas à une séance comme celle-là avec un avis définitif dont on ne s’éloignera pas, mais avec des impressions que l’on précise en discutant avec l’auteur.
J’ajoute que pour moi, il ne faut pas confondre directeur littéraire et directeur de collection. Ce dernier est un scénariste à part entière, il écrit. Il n’existe que sur une série, et pour moi c’est l’auteur central, celui qui donne le ton et qui réécrit les textes au final. Souvent c’est le créateur. Mais ce n’est pas forcément lui qui organise et participe à toutes les réunions avec les auteurs.
Directeur de collection et directeur littéraire sont à mon sens complémentaires, c’est en tout cas comme ça que j’ai vécu par exemple les expériences de Police District et d’Age sensible, avec respectivement Hugues Pagan et Michel Leclerc comme directeurs de collection, deux auteurs formidables avec lesquels j’ai beaucoup appris (j’espère !) sur ce métier.
Donc pour en revenir à la question, je ne vois pas en quoi directeur litttéraire est un rôle ingrat, ni la nécessité de le faire évoluer. Il faut simplement qu’il trouve la bonne place pour chaque projet.
— Depuis que tu fréquentes cet univers, qu'est-ce qui a changé ?
En deux mots, le rapport à la fiction télé. Quand j’ai commencé la critique de cinéma, la fiction télé était méprisée par les critiques et les créateurs. Et je dois bien dire que je partageais ce mépris. D’ailleurs, je n’avais pas de télé à l’époque. Et puis Arte, pour les téléfilms, a fait bouger les choses. Les cinéastes ont peu à peu compris qu’ils pouvaient faire un travail intéressant pour la télévision, et les critiques ont suivi — surtout quand des téléfilms, comme Les Roseaux Sauvages de Téchiné, étaient sélectionnés à Cannes ! Côté séries, je me souviens de 1995 : c’était l’année où je travaillais à M6, et des cassettes circulaient en interne, qui venaient du service des achats à l’étranger. C’étaient des séries qui n’étaient pas encore diffusées en France et qu’ils avaient récupérées aux screenings de Los Angeles. On me les a passées un jour : c’était Friends, X-Files, et Urgences. Là, j’étais encore à Positif, cinéphile assez « pointu », et j’ai commencé à me dire que la série pouvait atteindre une qualité d’écriture, de récit, etc. que je ne soupçonnais pas jusque-là.
— Quelles sont tes influences ?
Influences, je ne sais pas trop ce que ça veut dire. Est-ce que ce serait des œuvres dont on retrouverait la trace dans son propre travail ? Je n’ai pas assez de recul pour ça. Mais des admirations, oui, j’en ai beaucoup. Et qui n’ont pas forcément de liens en apparence avec Reporters. Pour se cantonner aux séries, ce qui me vient à l’esprit spontanément, dans le désordre (j’en oublierai sûrement), ce sont The Wire (à propos, il faut absolument lire le dernier livre de Dennis Lehane, Un pays à l’aube, c’est un grand grand roman), Mad Men, True Blood, Six feet under, The West Wing, In treatment, Studio 60 on the sunset strip, Rome, Murder One, Once & again, Bienvenue en Alaska… et David Milch, que ce soit son boulot dans NYPD Blue, ou dans Deadwood, et même dans John from Cincinnatti, même si je ne suis pas encore arrivé au bout ! Milch est la preuve la plus évidente (presque trop !) qu’il faut considérer les « créateurs »/showrunners de ces séries-là comme des auteurs à part entière : on retrouve leurs thèmes, leur style, leur « vision du monde » dans tout ce qu’il font, même quand c’est moins réussi, et ça, c’est vraiment passionnant.
— On parle souvent chez les auteurs de créatifs (trouvent des idées) et de bâtisseurs (structurent le récit), dans quelle famille te sens-tu le plus à l'aise ?
Idéalement, il faudrait être bon dans les deux, comme au tennis : bon en coup droit, et bon en revers. Je crois que je suis naturellement plus à l’aise dans l’organisation, dans la structure, au sens large. J’ai tendance à d’abord ressentir une forme, un rythme, une sensation, avant de l’incarner, que ce soit à l’échelle d’une scène ou d’une histoire. J’envie les auteurs qui « voient » immédiatement, concrètement les choses. Mais bon… rien n’est définitif, je vais travailler mon revers !
— D'où vient l'idée de Reporters ?
De Canal +. Fabrice de la Patellière et Dominique Jubin voulaient explorer en fiction le monde du journalisme, puisque personne ne l’avait fait et qu’ils pensaient, à mon avis très justement, que c’était un bon matériau de fiction. Au départ, il s’agissait de raconter dans une mini-série la campagne présidentielle de 2002 du point de vue des journalistes, et on s’est aperçu que c’était trop réducteur pour aborder les nombreux thèmes possibles, et qu’en plus ça nous limiterait à une saison. Comme de leur côté, Hervé Chabalier et Claude Chelli à Capa cherchaient depuis des années à produire un projet sur ce monde-là, ça tombait bien…
— On entend souvent les auteurs se plaindre quand ils voient à l'écran le résultat final de plusieurs mois voire de plusieurs années de travail. Avec Reporters, Penses-tu faire la série que tu voulais faire ?
On me reproche souvent d’être trop insatisfait. Alors je dirais oui et non. « Oui », parce qu’à l’arrivée on est proche de l’esprit qui a animé l’écriture, et que je me sens prêt à défendre la série de toutes mes forces (surtout quand je lis les papiers de certains critiques qui à mon sens n’ont pas bien compris le projet). « Non », mais un petit « non », parce qu’il y a toujours des choses à améliorer, des intentions qui sont passées à la trappe, et dont je ne saurai jamais si elles tenaient la route ou pas. Mais ça, je crois que c’est inhérent au métier de scénariste.
— Travailler avec Canal+ en fiction aujourd'hui, est-ce un plus ? Pour une première série, n'est-ce pas presque un handicap de commencer avec cette chaîne ?
Un handicap, je ne vois pas trop pourquoi. Ça dépendra plutôt de la suite des événements… Un plus, peut-être, dans la mesure où il y a aujourd’hui à Canal une volonté de se distinguer des autres chaînes, et ça, c’est toujours un facteur de changement et, sinon de progrès, du moins de recherche. C’est ce que j’ai ressenti à l’échelle de Capa pendant que j’y ai travaillé : chaque fois qu’on arrivait plus facilement à faire passer de « nouvelles » choses, c’est parce que le diffuseurs avaient des difficultés ou des ambitions d’audience et qu’il cherchait à changer : c’est ce qui s’est passé avec Police District et Age sensible.
— Qu'aimes-tu dans la fiction française actuelle ?
Je ne vois pas tout, donc je me prononce sur un corpus vraiment incomplet, mais récemment, j’ai bien aimé Les Oubliées, Engrenages, Duel en ville, À cran, il y a plus longtemps, Nicolas Le Floc’h. Et j’ai très envie regarder la version 52’ de Fais pas ci fais pas ça dont on m’a dit beaucoup de bien.
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