vendredi 16 mars 2012
The Wire, Treme et tous les autres
Je vous l'avais promis, voici l'entretien que Karen Thorson, producer sur "The Wire" mais aussi sur "Treme", m'a accordé à l'occasion de la rédaction de mon ouvrage "Génériques ! Les séries américaines décryptées". Si, si, j'ai sorti un livre !
Le discours de Karen L. Thorston est passionnant à plusieurs titres. Cette productrice nous parle en dé- tails de la conception de deux très bons génériques. The Wire*, une série que l’on ne présente plus mais dont le générique a tendance à être sous-estimé, et Treme*, drame socio-politique jazzy aux relents documentaires, une anomalie dans le paysage actuel des fictions américaines.
Interrogée cet été 2010 par nos soins, Karen L. Thorston revient sur le processus de fabrication, mais également sur la relation qu’elle entre- tient avec le showrunner de ces deux séries : l’indispensable David Simon. Elle se livre plus généralement à une énonciation des grands canons esthétiques des génériques de télévision actuelle.
Pouvez-nous expliquer les subtilités existantes entre des termes comme main title, credit sequence, ope- ning credits sequence, title sequence, sachant qu’en France nous n’avons qu’un terme pour désigner le générique ?
Karen L. Thorston : Il est intéressant de voir qu’il existe plusieurs moyens de décrire le concept de gé- nérique en anglais. Parfois on appelle même ça tout simplement les « crédits », en référence à ceux à qui on doit l’œuvre ou bien encore les
fonctions). Un main title englobe les artistes et les techniciens principaux qui ont reçu le droit d’être nommés à proximité du titre du projet, par op- position à ceux qui seront relégués à la fin de l’œuvre.
En français, il n’y a qu’un terme : le générique...
K.L.T. : Aux États-Unis, nous avons aussi une version dite « générique » (generic en anglais). Il s’agit d’une séquence sans mots appelée « la version sans texte ». Elle est préparée ainsi pour l’exportation afin de pouvoir la compléter dans différentes langues.
Je fais de la conception de génériques d’abord sans m’intéresser au titling (toutes les informations qui vont être rajoutées comme les crédits). C’est pour créer avec les images, les sons et la musique, une atmosphère particulière et ajuster ensuite les noms et les mots. Ainsi, le terme « générique » n’évoque pas grand-chose car pour moi la sé- quence d’introduction doit avoir une fonction narrative et pas seulement être le lieu d’une liste de noms.
Existe-t-il des spécificités entre les génériques produits pour la télévision et ceux destinés au cinéma ?
K.L.T. : L’information à fournir est essentiellement la même. Dans l’industrie télé, il y a ordinairement une limite de temps imposée par la production ou l’antenne de la chaîne pour le déroulement du générique... Habituellement moins de 90 secondes. Un temps bien plus court qu’au cinéma. Le choix de créer une séquence spécialement pour le générique ou pas (se servir d’images préexistantes tirées de la série) est une décision artistique prise par les producteurs, que ce soit pour des long-métrages ou des feuilletons.
Pour une série télé, je pense qu’il est souhaitable d’avoir une véritable séquence de générique créée spécialement, plutôt qu’un simple défilement des noms et fonctions. Et je vois plusieurs raisons à cela : premièrement, cela crée un lien entre des propositions différentes. D’un point de vue commercial, cela apporte une stratégie marketing et crée une occasion d’imprimer une empreinte spécifique. Un générique attractif induit un réflexe de Pavlov positif. Désormais, une chanson de Tom Waits qu’écoutera un auditeur à la radio va peut- être lui évoquer The Wire*.
Une montre à gousset et un bruit de tic-tac nous ramène vers 60 minutes1. Le générique des Sopranos me transporte de mon salon sur les rives de l’Hudson river et me fait atterrir dans le New-Jersey au cœur du monde de Tony Soprano, où j’aurais même une envie de lasagnes ! [Rires] Vraiment, un générique peut faire changer l’humeur et le lieu mental du spectateur en peu de temps. Et puis il y a la pause pop-corn. Comme un entracte à l’époque du cinéma du bon vieux temps. À la télé, le générique de dé- but peut être une pause qui permet un dernier aller-retour jusqu’au frigo, une pause pour fermer l’ordinateur, un moment pour se poser et se préparer à entrer dans l’histoire.
Est-ce qu’une bonne série possède forcément un bon générique ?
K.L.T. : Un ami m’a dit un jour, « Karen, personne ne fait exprès de faire un mauvais film. Quelques fois, malgré les efforts, malgré le nombre d’Oscars gagnés, un film n’est pas aussi bon qu’on l’aurait espéré. »
Oui, un bon programme pour la télé ou un bon long-métrage devrait avoir un bon générique. Est-ce qu’il y a des grands films ou des grandes fictions télé sans bon générique ? Je suppose que oui. Est-ce qu’un bon générique peut sauver une mauvaise création ? Je ne pense pas. Est- ce que le générique peut contraster esthétiquement avec le film ou le programme qu’il est censé baliser ? Oui mais globalement, il me semble qu’un générique doit s’intégrer avec le reste, se fondre. Cela étant dit, il y a des contre-exemples, prenez les génériques des James Bond, ils ont toujours eu un pouvoir d’attraction énorme sur les fans. Et ces génériques sont regardables et appréciables hors de tout visionnage du film. Ils sont sexy et excitants, et c’est quand même bien ce que le produit « James Bond » propose. En cela, ils soutiennent bien l’objectif global du film, même si les techniques mises en œuvre dans ces génériques sont bien différentes de celle du film. Dans le cas présent, je ne pense pas que ce générique finisse par faire de l’ombre au film lui-même. Toute production se doit d’être la plus parfaite possible, à tous les stades de son développement. Le bon générique devrait renseigner sur le corps principal et non l’inverse. J’ai vu des films où le générique renvoie une impression ou un message d’une ambition bien supérieure ou d’une thématique différente de celle du film. Ce n’était pas des films qui ont bien marché, et sans doute pas uniquement à cause d’un écart entre le générique et le film. Mais cette donnée ne peut que renforcer la confusion et la déception du spectateur. En revanche, je n’ai pas l’impression que de mélanger les styles et les techniques conduise forcément le générique à être dissonant.
J’aime l’ouverture de The Green Hornet. Le générique de 24 s’est transformé en bumper annonçant des pages de pub. Ainsi, il est devenu plus qu’un simple générique délivrant des informations sur la série. Il a évolué pour devenir un outil digérant la présence des spots de publicité.
Je n’ai cité que des exemples liés aux thrillers (films à suspense) ; comme s’ils étaient les seuls lieux possibles pour produire des sujets intéressants. En fait, même dans des drama de bonne qualité, je vois des génériques qui diffèrent stylistiquement de l’œuvre qu’ils sont censés représenter. Par exemple dans Six Feet Under, j’ai toujours été subjuguée par le mélange d’animation, d’action en direct et de désaturations présents dans le générique produit par Digital Kitchen, et pourtant je ne l’ai jamais trouvé plus important que les épisodes eux-mêmes. Breaking Bad exploite avec intelligence le thème de la chimie en se servant du tableau périodique des éléments. Le générique de Mad Men* se regarde sans problème pour lui-même et fait plus qu’honneur à la série. Il définit une époque en partenariat avec les épisodes. Je vois là une interprétation originale ou un hommage au travail de Saul Bass sur les films d’Otto Preminger bien sûr, durant les années 1950.
D’ou vient votre passion pour l’image en général et des génériques en particulier ?
K.L.T. : Tout cela vient de très loin. Pendant mon enfance, j’ai passé beaucoup de temps à faire ce qu’on appelle chez nous des travaux d’aiguilles. Je faisais des coussins, des vêtements et j’assemblais des couvertures en patchwork et je bro- dais aussi. Donc, je suppose, quand j’y pense maintenant, qu’il y a un lien avec le fait que je me sois lancée dans les films, en trouvant un intérêt particulier et une spécialisation dans le montage, une sorte de patchworking de l’image, et la postpro-duction. Quand je conçois un générique, je tente de créer du sens avec ce qui a été filmé, que je sois en train d’assembler une histoire forte pour un épisode ou de mettre ensemble des séquences plus abstraites comme pour un générique.Quand The Wire* a commencé, j’ai travaillé longuement avec le producteur Robert Colesberry [le parte- naire de David Simon sur cette série] pour développer sa pensée sur l’aspect formel de la série. Pour la présentation du pilote chez HBO, il n’était pas essentiel d’avoir un générique. Je voulais quand même trouver quel- que chose pour la présentation du pilote. J’ai toujours été fascinée par les graphiques en forme de vagues ondulantes que pouvait produire une voix sur l’écran de certains instruments d’enregistrement. Comme ce genre d’enregistrement était au cœur de la première saison de The Wire*, je me suis senti en droit de me concentrer sur des aspects cachés de l’enregistrement. J’ai beaucoup filmé de câbles et d’appareils d’enregistrement, principalement des machines situées dans notre poste de travail, pendant les périodes où nous changions les bobines de notre caméra. Après que nous ayons mis en place un scénario qui nous convienne à tous, j’ai dégradé l’image de la vidéo et j’ai joué avec différents niveaux de couleurs. Le projet a été choisi pour faire une série, et j’ai pris pour principe d’inclure systématiquement une petite séquence évocatrice récurrente dans toutes les [cinq] saisons suivantes de The Wire*. Pour en revenir au petit écran avec la vague graphique qui ondule, je pense que la qualité ce cette image n’était pas à la hauteur du reste de la séquence et du travail final. J’aimais tout de même l’idée d’avoir ce petit morceau récurrent inclus dans le générique.
Y-a-t-il quelque chose qui résume votre démarche ?
K.L.T. : Pour Treme*, la direction à suivre était assez simple. J’avais travaillé sur The Wire* pendant plus de sept ans et parmi tous les producteurs, David, Bob, Nina et moi avions développé une façon de fonctionner, une compréhension commune, un accord sur ce qui nous paraissait juste et esthétique. Pour Treme*, je n’ai eu qu’une brève séance de brie- fing pour jeter les bases de la forme que devait prendre le générique. Lors de cette rencontre, David m’a dit très simplement : « montre ce qui a été perdu ». Je suis parti dans cette direction pour montrer non seulement ce qui a été abandonné à la tornade, mais aussi ce qui a été abandonné au temps passé, l’érosion de ce que David appelle « l’inestimable ».
Cela était censé avoir de l’importance pour tous les spectateurs non familiers de la culture de la Nouvelle-Orléans. J’avais fait pas mal de recherche de mon côté, avant notre rencontre, pour mettre le doigt sur des motifs récurrents. Les inondations ont probablement été les armes les plus destructrices de l’ouragan Katrina – c’était un matériau perturbant. Et je dois dire que ce travail de recherche m’a profondément marquée. Il était clair qu’il serait difficile de montrer des images des eaux montantes et des courants destructeurs sans exploiter la souffrance humaine. Cependant, sans présence humaine dans les séquences, les eaux n’étaient pas aussi éloquentes ou menaçantes. L’immense souffrance et la perte en vie humaine devait être présente. Alors que j’allais plus loin dans mes recherches et que je lisais des journaux intimes sur ce qu’avait été l’expérience Katrina, une voix commune émergeait : après avoir vu des milliers d’images, un schéma visuel faisait surface. Les gens n’ont, pour la plupart, pas pu prendre de photos avant que les eaux ne se retirent et donc exposer les dommages physiques réels.
À ce moment-là, un élément commun, aussi destructeur que fascinant, s’est matérialisé : la moisissure. La moisissure, objet symbolique et conséquence des inondations, est devenue le motif thématique parfait pour ma séquence. La moisissure est un résidu du dégât des eaux, un spore qui se plante obstinément et qui se répand. La moisissure symbolise parfaitement les thèmes sociaux et politiques que David et Eric explorent dans Treme*. Et la moisissure peut être étrangement et tragiquement belle.
Et pour Treme* ?
K.L.T. : J’ai commencé les recherches avant qu’on ne m’ait donné le moindre script sur Treme*. J’ai ras- semblé par avance un bon nombre d’images. Ma recherche était complémentaire de ce que je commençais à apprendre par l’écriture. Lors de ma rencontre avec David Simon, Eric Overmyer et David Mills, nous avons beaucoup parlé des effets de la tornade et de l’inondation qui a suivi : l’eau, la boue, la rouille. La notion de moisissure ne m’est apparue évidente et pleine de sens qu’une fois bien lancée dans mes recherches.
Avez-vous fait de belles découvertes ?
K.L.T. : J’ai découvert une poignée de photographes d’art qui étaient eux aussi fascinés par la nature de la moisissure à la Nouvelle-Orléans, et j’ai utilisé le meilleur de leur travail dans la série. Will Stacey est un photographe en particulier qui me vient à l’esprit. En fait, ses images sont utilisées pour la couverture de l’album de la bande originale de la saison 1. Pour cette saison 1, il nous est apparu assez logique d’utiliser la moisissure comme symbole pour la série. On verra bien, mais je pense que cela pourrait devenir un élément central dans les saisons à venir, et peut-être dans toute la série.
À cause de l’énorme quantité de documents accumulés au départ, le générique s’est naturellement rapproché de la forme et de l’esthétisme du documentaire. Il n’y avait pas besoin d’une couche supplémentaire comme une partie animée. Donc, nous avons utilisé une technique de montage relativement simple et directe. L’œuvre finale est une collaboration entre des photographes de la Nouvelle-Orléans et des spécialistes de l’image. Ce n’est pas tant une question de mise en forme. En fait, ce n’est pas sensé avoir été mis en forme du tout. Mon rôle a consisté à trouver et sélectionner les photos et à les assembler par groupes émotionnels. On peut remercier John Chimples pour ce qui est du mouvement, du rythme et de l’emphase qu’il a su imprimer au travers d’un montage dynamique. Il restait difficile de trouver un équilibre entre le contenu visuel bouleversant et la musique prenante vive et rythmée de la bande son. Le fond que nous avons choisi pour afficher les noms à été récupéré dans une séquence finalement ôtée de l’épisode pilote donné à HBO. John a customisé l’action sur les lettres pour que les mouvements fassent penser à de l’eau montante qui prend du volume.
Le titre lui-même, Treme*, a été créé par Kayle Simons pour identifier la série. Lui donner du caractère. L’idée derrière tout cela tournait encore une fois, autour de l’idée de l’érosion. Le titre du programme a été apposé sur des surfaces abîmées par l’eau. John a créé une gouttelette qui coule du « R », très simplement. Il l’a filmé mélangée à de l’encre sur de l’acétate. Donc même cette exé- cution créée à la caméra, n’était pas de la haute technologie ou quelque chose de compliqué. Mon style jusque-là dans la création de génériques a toujours été de trouver et d’explorer l’essence même de l’œuvre et non d’imposer une quelconque sorcellerie technologique. Les œuvres de David Simon demande quelque chose de relativement organique : The Wire* parce que nous étions dans une vision hypra-réaliste des choses, et Treme* parce que nous avions sélectionné des photos suffisamment puissantes pour fonction- ner sans artifices. La dernière chose que je souhaitais faire, était d’attirer l’attention vers moi-même en temps que créatrice. « Qui a fait cela !? » ou « Comment est-ce que ça bien pu être fait ?! » Ou encore « Comme ça a du être cher ! ». Non, ces réactions auraient pour moi été un signe d’échec. J’ai toujours préféré l’idée que ces deux œuvres soient connues dans leur globalité, et pas seulement pour un point anecdotique de leur générique.
Dans The Wire*, le sujet du générique principal pour la saison 1 étaient les bobines d’enregistrement, là où l’on enregistre des écoutes, soit un des éléments de la procédure policière qui sous-tend la saison. Pour la saison 2 c’était le port. Il n’y avait ja- mais eu de programme télé à propos de ce milieu, nous étions en train de faire On The Waterfront1 d’une certaine manière, et il était important de le mettre en valeur. Pour la saison 3, la dernière image, le gamin sur le vélo, était une image qui avait du sens pour David Simon. C’était un clip très court et nous avons utilisé cha- que image. Dans le générique de la saison 4, j’aime particulièrement une image de Snoop en silhouette noire attendant, une nuit, dans un parc de jeu pour enfants. Il y a la perte de l’innocence, dépeinte de manière évi- dente dans cette séquence. Beaucoup de génériques de séries ferment une boucle – nous nous servons également de cette notion de boucle – en amenant une image de manège sur lequel Nick a trébuché dans la saison Le générique de la saison 5 dépeint différentes sortes de média et une notamment une quantité non- négligeable de média à sensation. Il y a aussi une partie du générique qui rend hommage à tous les soldats tués, ceux qui sont mort pendant la guerre contre la drogue au cours de la série. Cela nous paraissait particulièrement juste car nous savions que notre série touchait à sa fin.
Comment résumeriez le générique de Treme ?
K.L.T. : Le générique de Treme* est la synthèse d’un documentaire, d’un scrapbook et d’un album photo. C’est un documentaire car il raconte l’histoire de la Nouvelle- Orléans et de sa culture avant et après Katrina. C’est un album photos, de photos personnelles même avec des morceaux d’albums photos réels. Lors d’un désastre tel qu’un incendie, on vous dit de quitter le bâti- ment en feu immédiatement sans ne rien prendre avec vous. Les gens qui ont survécu à la destruction de leur domicile vous diront que la chose qu’ils ne pourront jamais remplacer, c’est leurs collection de photos. Ils se plaignent de ne pas avoir pensé à attraper leurs albums de famille avant de fuir. Il semblait essentiel de trou- ver et montrer l’irremplaçable même si ce n’est que pour symboliser ce qui avait été perdu mais pas oublié. Je suis restée fixée sur ces sentiments pour le générique. Ces photos ont survécues aux événements catastrophiques de Katrina et sont présentées tels quels aux téléspectateurs. Plusieurs des images qui viennent après sont en effet des photographies et des morceaux d’un vieil album où l’émulsion a été altérée par les eaux. Ces images sont étrangement bel- les, tragiquement belles. Lorsqu’on prend des parties de ces images, elles apparaissent comme de l’art abstrait qui a de grandes qualités esthétiques mais reste respectueux des circonstances.
L’idée du scrapbook est concrétisée au travers d’une approche multimédia – films, vidéos et plans immobiles. C’est aussi un scrapbook à cause de sa nature collaborative. Photojournalistes, cinéastes, artistes, agences de presse, agences gouvernementales, archivistes, et photographes amateurs ont tous ici apporté leur contribution. Chaque individu a un lien important avec la ville. Ou bien ils travaillent ou ont travaillé là, ou bien ils ont de la famille là, ou bien ils sont venus aider à nettoyer la ville après l’ouragan. On a prêté attention à la diversité dans le choix des photographies. Je voulais couvrir tous le spectre : joindre la plus haute qualité artistique avec la plus personnelle. Nous avons une photo d’E. J. Bellocq à laquelle a participé Lee Friedlander. Nous avons plusieurs photos prises par des employés du Times-Picayune, le grand quotidien local. Nous avons un cliché fait par la NASA. Nous avons des tirages des archives de Jules Cahn. Et nous avons inclus des photos prises par des citoyens lambda de la Nouvelle-Orléans.
Le générique de Treme* est une série de limites dans le temps. Une chronologie de la Nouvelle-Orléans se forme, avant, pendant et après Katrina. En surface, ce qui apparaît est un mini-documentaire. À un ni- veau différent, nous jouons avec l’histoire du cinéma et l’évolution des technologies, en allant du film noir et blanc, vers le film en couleur, puis le film en définition normale, et finalement le film HD. On met aussi de la vidéo amateur pour compléter. La photographie fixe va de la composition formelle jusqu’à la photo prise en famille dans l’inspiration du moment, du tirage sur pellicule jusqu’au numérique. Nous jouons aussi avec la décomposition, en laissant les clichés abîmés tels quels. Puis, les effets de l’ouragan ont leur propre organisation temporelle. Après quelques jours, les eaux se retirent et la moisissure fleurit – une forme d’érosion unique. Tout cela creuse le thème de la perte. Les traditions culturelles évoluent avec le temps. Une collection de photos en noir et blanc, garnies d’encadrements à l’ancienne, énumère les images évidentes de la Nouvelle-Orléans. Nous voyons une flottille typique du Mardi Gras pour la Rex Parade, un monument de cimetière bien reconnaissable, un chef cuisinier en train d’apporter une dernière touche à ce que j’imagine comme étant un plat d’huîtres à la Rockefeller [plat in- venté à la Nouvelle-Orléans], une charrette en stuc tirée par des che- vaux, des filles créoles jouant de la musique, une nouvelle génération d’indiens du mardi gras, le portrait d’une prostituée de Storyville [l’ancien quartier chaud de la ville]. Le lent défilé de photos amateurs en couleur contraste avec les clichés en noirs et blanc. Leur présentation a été inspirée de ma propre collection de photo épinglée sur un panneau d’affichage, dans mon bureau, chez moi. La deuxième parade, qui est quelque chose d’unique, de typique- ment Nouvel-Orléanais, et de central dans la culture locale, va de l’ère Kennedy au monde contemporain.
Quels sont les outils que vous utilisez pour créer un générique?
K.L.T. : Personnellement, plus j’en sais sur un projet, meilleur sera le résultat. Pour Treme* et The Wire*, j’ai eu l’avantage de travailler en tant que producer. J’ai eu une ou deux réunions pour parler de la conception du générique, mais j’ai eu un accès illimité au script du jour et à tout ce qui était filmé. Ce qui m’a le plus aidé pour ces génériques, c’est la collaboration totale qui s’est opérée avec David Simon au travail, cette impression d’avoir accès à son cerveau, mais aussi d’avoir partagé un repas ou deux, ou bien encore d’avoir vu ensemble un concert. Parfois, la compréhension mutuelle d’un élément vient de moments hors du tournage.
Pour The Wire* saison 5, nous avons tiré nos meilleures images de journaux quotidiens. Je pensais que cela était très important car la vrai- semblance était capitale. Faire de notre histoire et de son déroulement quelque chose d’aussi proche que possible de la réalité dans un décor fictif faisait partie de nos procédés. Ainsi, il nous semblait naturel de sélectionner des images tirées de la presse quotidienne, principalement venus de l’extérieur, puisque la nature intrinsèque de la série était déjà donnée.
Pour Treme*, les images sont rapportées de l’extérieur et ne viennent pas de la série, cependant elles semblent être partie intégrante de la série. Je pense que ce sont les images qu’on trouverait si la série avait été axée sur l’ouragan lui même et ses conséquences immédiates. En réalité, la série se situe plusieurs mois après. Donc, le générique retrace cette part de l’histoire de la ville. Katrina et ses conséquences, du point de vue économique et artistique. Beaucoup de gens de là-bas, ceux qui sont restés ou sont retournés à la Nouvelle-Orléans, nous disent que nous avons un rendu juste.
The Wire* comme Treme* sont des œuvres parcourues par de la bonne musique, est-ce important pour concevoir un bon générique ?
K.L.T. : Pour The Wire*, nous avions les images bien longtemps avant d’avoir la musique. Avec Treme*, c’est la musique qui a précédé les images. La musique est bien entendu un élément essentiel pour un généri- que de télévision – pour l’esprit et la voix – mais c’est aussi un outil tranchant. Je n’ai vu des génériques sans musique que sur des longs métrages. Il serait intéressant de voir un générique de fiction télé sans musique. Peut être que cela n’a jamais été fait car ça ne pourrait pas marcher, je ne sais pas. Je me sens à l’aise pour assembler des images de générique sans sélection musicale en tête. Cependant, la musique aura un impact important sur le montage et l’effet final.
David a mit un certain temps avant de trouver « Way Down in the Hole » comme titre musical pour le générique de The Wire*. Peut-être que cette recherche est à l’origine de l’idée de changer d’interprétation chaque année. Trouver un air assez universel pour couvrir le portée potentielle de The Wire* n’était pas facile. Personnaliser la chanson à l’occasion de chaque saison était une solution singulière et sans équivalent à ce moment-là. J’ai trouvé ce choix satisfaisant et il était chaque fois intéressant de regarder et d’en- tendre des artistes nouveaux à l’occasion de chaque nouvelle saison. Avec une interprétation différente, nous pouvions exprimer le thème de la saison... des enfants dans la saison 4 par exemple, et la classe ouvrière blanche dans la saison 2.
Parlez-nous un peu de David Simon ?
K.L.T. : Je travaille sur les projets de David depuis plus de neuf ans et j’étais là en spectateur dans un coin aux côtés de mon défunt mari Robert Colesberry, avant The Wire*. En travaillant ensemble, d’abord David, Bob et moi, puis David, Nina et moi, nous avons développé des codes de travail. Je pense qu’ils me font confiance pour assembler des éléments sans beaucoup de dialogues entre nous. C’est probablement un soulagement pour eux de ne pas avoir à trop s’expliquer. David peut simplement réagir à quelque chose que j’ai réalisé. Et il me rendra un compte-rendu détaillé de son avis, et les avis détaillés sont faciles à satisfaire. Je pense aussi qu’une fois que je lui ai proposé quelque chose, sa propre idée sur ce que le générique aurait dû être se fige. Je pense avoir apporté quelques surprises agréables. David a une approche démocratique des notes. Il croit en la collaboration. Il autorise tous les auteurs et les producteurs à commenter les scripts. D’une certaine manière, je pense qu’il attend les commentaires et les remarques. Il est aussi généreux et ne laisse pas les autres se sentir trop impressionnés. Même pour une note sur un point mineur, il répondra sou- vent avec force détails. David Simon n’a pas d’équivalent.
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