jeudi 23 février 2012

Génériques ! la préface (le générique ?)

Préface de mon livre "Génériques : les séries américaines décryptées" signée Rob long, auteur du cultissime "Conversations avec mon agent". Je suis très fier qu'il aie accepté d'écrire quelques mots pour mon ouvrage. Ce qu'il dit résume à merveille mon propos. "Il n’y a pas si longtemps, je produisais un programme pour un grand réseau américain. Une comédie romantique, l'histoire d'une jeune fille riche vivant dans un luxueux duplex au dernier étage d'un immeuble de Park Avenue et d'un garçon habitant au sous-sol, avec son père. L'héritière et le concierge, homme à tout faire de l'immeuble : une situation romantique classique. Ce programme s'appelait "Love & Money". Tout naturellement, nous voulions recréer l'atmosphère d'une de ces screwball comedies des années 1930. Nous voulions que les téléspectateurs aient l'impression de regarder une histoire typiquement new-Yorkaise. Ce qui ne pouvait se résumer qu'en un seul mot : Gershwin. Nous avions besoin de l'un de ses morceaux pour notre générique. Nous avons donc parcouru la liste de ses oeuvres mais avons finalement craqué pour une chanson d'Harold Arlen, "Hooray for love" qui résume toute la folie et l'imprévisibilité d'une histoire d'amour. Bobby Short, le grand chanteur de cabaret de Manhattan accepta de l'enregistrer pour nous. Nous nous sommes donc envolés pour New-York et avons passé quelques heures avec ce grand artiste américain. Au final, nous avions une version de trente secondes du classique d'Harold Arlen qui donnait parfaitement le ton du programme. Le public qui écouterait la chanson en regardant le générique saurait immédiatement de quel genre de programme il s'agissait : sophistiqué, espiègle et romantique, avec une touche de conte de fées. Malheureusement, nous ne sommes pas parvenus à réunir un public suffisant pour ce générique, et donc, de fait, pour l’ensemble du programme. Notre série s’est morfondue durant de longues semaines en bas de la liste des audiences établies par Nielsen jusqu’à ce que, finalement, la chaîne nous apprenne la mauvaise nouvelle : "Love & Money" allait s’arrêter. Signe des temps, cette année-là, la plupart des chaînes décidèrent de supprimer les génériques de début, afin d’avoir plus de temps pour la publicité. D’après eux, il était inef- ficace et coûteux de perdre trente secondes pour une chanson et une séquence. C’était également dépassé : les jeunes téléspectateurs avaient l’habitude d’un rythme plus soutenu et d’un montage ultra-rapide, façon MTV. Ils ne resteraient pas devant une séquence ayant pour seul but de créer une ambiance. Et pourtant. Mon premier bou- lot à la télévision consistait à écrire des scripts pour une série qui avait fait ses preuves avec le temps, un classique de la sitcom américaine : "Cheers". Le thème musical du générique, accompagné d’une série de vieilles photographies telles que l’on en trouve dans les bars, donnait le ton de la série, son point de vue. La chanson, qui devint un petit succès et est toujours dans la mémoire des spectateurs, était une simple déclara- tion d’amour au bar du coin : Making your way in the world today Takes everything you’ve got. Taking a break from all your worries Sure would help a lot. Wouldn’t you like to get away? Sometimes you’ve got to go Where everybody knows your name. And it’s always just the same. You want to go where people know, our troubles are all the same. You want to go where everybody knows your name1. Et grâce à cette simple mélodie, les spectateurs se disaient : « J’ai envie d’aller dans ce bar, de passer du temps avec ces personnages ». La chanson était si simple, si amicale, que les scénaristes – et il y en eut des douzaines, moi compris, en onze ans – pouvaient créer des situations où les personnages se comportaient de manière atroce les uns envers les autres. Dans une large mesure, le générique de "Cheers" nous a permis d’écrire une comédie acerbe, au vitriol. On se trouvait dans un endroit « où tout le monde nous connaît » après tout ; la chanson permettait de désactiver bien des choses. Les chaînes sont toujours réticentes à produire des génériques, pour des questions de temps et d’argent, malgré le fait que certains des plus grands succès actuels ("Mon oncle Charlie", "The Big Bang Theory", "Mad Men", "Breaking Bad", et même – mon Dieu ! – "The Real Housewives of New York") disposent de génériques de début plutôt longs et descriptifs, doublés d’une chanson immédiatement identifiable. Vouloir les supprimer relève d’une vision à court terme. Et il n’est pas prouvé que le jeune public, particuliè- rement dans la tranche convoitée des 18-45 ans, soit rebuté par un générique de trente secondes. Après tout, cela constitue une forme d’ouverture, une sorte de refrain introductif, une manière de dire « bienvenue, instal- lez-vous confortablement ». C’est le roulement de tambour avant le début du spectacle, le chorus de guitare avant que la chanson commence. Les génériques sont indispensables. Tout a commencé à la radio. Les vieilles émissions, comme "Duffy’s Tavern" ou "The Shadow", comportaient toujours un générique, sous une forme ou sous une autre. "The Shadow", diffusé dans les années 1930, débutait par cette question : « Qui connaît les tréfonds de l’âme humaine ? », dont la réponse, « The Shadow ! », était accompagnée d’une musique effrayante et d’un roule- ment de caisse claire. Plus tard, à la fin des années 1950 et durant les années 1960, des sé- ries comme "Bonanza" ou des sitcoms comme "The Beverly Hillbillies", racontaient tout le contexte du pro- gramme durant le générique. Rares sont les Américains, tous âges confondus, qui ne peuvent chanter en intégralité les chansons de "The Beverly Hillbillies" ou de "Gilligan’s Island". "Ma sorcière bien-aimée", sitcom à succès et au long cours – dans laquelle un publicitaire débordé de travail vit en banlieue avec sa femme qui possède des pouvoirs magiques (une sorte de "Mad Men", la sorcellerie et les plaisanteries en plus) – racontait cette histoire grâce à une séquence d’animation de quarante-cinq secondes, accompagnée d’une mélodie enjouée. Et cela ne se limitait pas aux comédies légères. Dans les années 1970, des séries plus intelligentes et plus so- phistiquées, comme "All in the Family", "M*A*S*H" et "Il faut marier papa" utilisaient images et musique pour ancrer leur univers dans un temps et un lieu donné. La sombre mélancolie du générique de "M*A*S*H" plane encore sur la télévision. Il s’agissait d’une série sur les médecins militaires en temps de guerre, qui hésitait souvent entre comédie et tragédie. Quelle meilleure manière de mettre le spectateur dans l’ambiance, de donner le ton et le point de vue de ce programme, que cette chanson à la fois rythmée et triste ? Évidemment, au bout du compte, les impératifs économiques de la télévision ont forcé les chaînes à revoir à la baisse les excès des génériques. Aujourd’hui, la plupart des séries se contentent d’une mélodie de cinq ou six secondes, suivie d’une interminable liste de noms se superposant aux premières scènes. En d’autres termes, tandis que l’histoire commence, les patronymes des acteurs, des scénaristes, des producteurs, du réalisateur, apparaissent et disparaissent, de manière parasite – et inefficace. Pourtant, les génériques jouent un rôle essentiel. Les séries qui les ont conservés – sur des chaînes câblées comme HBO ou Showtime, et sur des chaînes à forte audience, comme CBS – parviennent à créer un lien avec le public plus pérenne, plus pro- fond, que quelques notes de musique et une première scène surchargée. Un jour peut-être, tout le monde reprendra ses esprits et les utilisera à nouveau, dans toute leur dimension musicale. Le public, j’en suis convaincu, en sera ravi. Quand ils reviendront, je serai prêt. Je suis déjà en train de feuilleter mon livret de Gershwin. Je serai peut-être le premier scénariste à créer une série parce que j’ai craqué pour une chanson donnée. Commencer par créer un générique, c’est peut-être ne pas faire les choses dans le bon ordre mais, d’une certaine manière, c’est tout à fait logique". Rob Long

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