samedi 4 février 2012

The Killing, une tuerie.

Ok, je me réveille après tout le monde. J’avais bien vu passer quelques trailers efficaces sur le sujet à l’époque de la diffusion de la série sur Arte. Des personnages inquiets, dans leur Danemark nocturne, de jolies femmes aux regards fatigués, un sale crime et un habillage musical aussi lancinant qu'efficace. Le problème, c’est que de tout temps, bien débuter une histoire, faire monter la tension a toujours été possible. Demander à David Lynch où JJ Abrams. C’est le reste qui est plus problématique. Avec The Killing, Forbrydelsen, en danois dans le texte, on est face à une fiction qui justifie amplement son nombre d’épisodes (pour combien de séries US est-ce vraiment le cas aujourd’hui ?). Un copain me disait il n’y a pas très longtemps, avoir le sentiment que dans la fiction outre-Atlantique actuelle, si l’on enlève les grandes œuvres, on se retrouve avec des séries qui proposent plus en terme de bouleversements dans leur dernier épisodes que dans une saison entière (on exagère à peine !). Avec The Killing, on en a pour son argent. Toujours est-il que j’ai décidé de regarder The Killing. Je dois avouer que les toutes premières minutes, notamment le crime dans les bois, ne m’ont pas mis dans la meilleure des dispositions. L’arrivée du Commissaire adjoint Lunde non plus (blague de ses coéquipiers à l’occasion de son départ en Suède). Mais, à l’image de la série entière, il a fallu un petit temps pour que la mécanique démarre et ne s’arrête plus jamais.
Je ne suis pas un fan des marathons de séries. Regarder trois ou quatre épisodes par soirée ce n’est pas mon truc. Je le dis même à la radio ! Il n’empêche que c’est comme ça que j’ai dévoré ce thriller nordique à l’emballage visuel vraiment réussi. En effet, au-delà de l’histoire, sombre, humaine et complexe en diable, The Killing est surtout une fiction qui joue avec les codes réussis de la fiction télé à épisodes. Son « previously », enchassé dans les cartons très sobres du générique, son tapis musical entêtant de fin d’épisodes et une galerie d’acteurs pour la plupart extrêmement crédibles (même avec le doublage français, et oui...) rendent l’objet –même si je n’aime pas cet adjectif que je range au côté de « culte » dans mon armoire des termes galvaudés en télévision – addictif. C’est bien réalisé. Le tempo des révélations et des twists est proche de la perfection. Bien sûr, au bout d’un certain nombre d’épisodes on peut être tenté de se demander si les zig-zags de la procédure ne sont pas trop artificiels. Personnellement, j’aime beaucoup comment se mélange les différentes trames de la fiction. Crime de la jeune lycéenne puis sa vie trouble, vie perso de l’héroïne, élections municipales, secrets des uns et des autres. On ne voit pas le temps passer. Les cinquante minutes rétrécissent. C’est très souvent bon signe. The Killing est clairement pour moi un modèle à suivre en terme d’écriture mais aussi de rendu visuel. C’est bien réalisé avec des moyens limités. Ça dit des choses sur un univers. Ça n’oublie pas d’être complexe et exigeant. Ça me donne encore plus envie d’écrire en pensant d’entrée à la musique et au type de réalisation qui va aider l’histoire à s’incarner. Les moments suspendus avec des voix a capella, ou les moments tendus sont ici magnifiés. Venue en séminaire à Paris, l’équipe de Borgen, une autre série danoise très réussie située dans le quotidien d’une femme Premier Ministre, a expliqué les conditions particulières de productions. Je cite un collègue, Martin Brossolet, qui a noté ces critères de développement : • La chaine nationale Danoise (DR1) a décidé de faire de la fiction une priorité car elle définissait son identité nationale. • Sans ligne éditoriale particulière, elle a demandé à des auteurs de lui proposer leurs" images" de leur pays. • Les responsables de DR1 ont posé comme principe que l'auteur scénariste était le dépositaire d'une vision, perfectible certes, mais qui devait être nourrie et protégée. • La chaine entretient des scénaristes dont elle a aimé les pitchs en les payant parfois pendant deux ans avant le premier scénario. • Elle produit avec un producteur maison mais des chefs de postes freelance motivés, dont le choix revient essentiellement à l'auteur/showrunner. • En cas de désaccord, le producteur donne quasiment systématiquement raison à l'auteur initial sur le réalisateur, car c'est le créateur/showrunner qui est le dépositaire de la vision originale. • DR1 fait des saisons de dix renouvelables dès les 3 premiers épisodes diffusés (un par semaine). • Depuis 2000 la chaîne a été nominée 8 fois aux Emmys et en en gagné 5, plus deux prix italia et un fipa d'or. Ces récompenses internationales prestigieuses lui ont permis d'assurer des financements étrangers par des investisseurs qui venait investir chez eux avant même de savoir ce qu'ils allaient faire. (The Killing est co-financée par le lander de Bavière). J’aimerais beaucoup avoir l’opportunité d’écrire dans un tel système. Je suis sûr qu’il a aussi des défauts mais cette possibilité d’avoir du temps pour écrire et un certain nombre d’épisodes pour faire vivre et dépeindre un univers cohérent me paraît être une très bonne solution. Je ne parle même pas des prérogatives artistiques laissées au scénariste, pas au détriment, en collaboration étroite avec le réalisateur. Le deal étant que ce dernier ne vient pas simplement toit réécrire mais consulte le scénariste. Ensemble, ils bâtissent l’œuvre. Science-fiction ? The Killing est la preuve que non.
Je n’ai pas vu le remake, initié par AMC aux Etats-Unis. Je trouve dommage que les américains se sentent obligés de tout adapter. Et après ça, je me mets à Borgen, autre série danoise écrite dans les mêmes conditions que Forbrydelsen avant que Jason Katims (Friday Night Lights) ne l’adapte pour la télé ricaine.

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