lundi 26 janvier 2009

La télé US by Brian Lowry



Brian Lowry dirige la rubrique de critique télé du célèbre hebdomadaire de l'industrie hollywoodienne « Variety ». Brian Lowry possède un avis de poids pour le futur de n'importe quelle production. Sous sa plume, une série peut connaître la grâce ou la déchéance. Observateur implaccable de ce milieu depuis 20 ans, Brian Lowry ne mâche jamais ses mots.


Les TV « Producer » hollywoodiens sont une énigme pour nous, observateurs venus de France, pouvez-vous éclairer notre lanterne ?
Aux Etats-Unis, celui que l'on dénomme génériquement « producer » est un mélange d'auteur, celui qui écrit pour vivre mais aussi de producteur comme vous pouvez le concevoir chez vous en Europe (compétences financières, artistiques…). Ce personnage, dans un contexte télé, est la véritable star de son industrie, son savoir-faire déclenche tout un processus créatif sur lequel il garde constamment la haute main, si l'on enlève le final cut de la chaîne. Etre « producer », cela signifie savoir être polyvalent et visionnaire. Après, il existe toute une hiérarchie de producers, certains ont des domaines de prérogatives restreints tandis que d'autres supervisent tout, ces derniers s'appellent des showrunners car ce sont eux qui font avancer la production.

Les plus doués de ces producers sont connus du grand public, font-ils venir les téléspectateurs sur leur seul nom ?
Des gens comme Steven Bochco, Dick Wolf, John Wells arrivent à mieux promouvoir une série en jouant du fait qu'elle est crée par « l'inventeur de NYPD Blue », de "Law and order" ou de "ER". Cela dit, on est loin de l'aura des grands réalisateurs cinéma tels Steven Spielberg ou Woody Allen qui possèdent réellement un réservoir de public qui ne loupe pas un seul de leurs films.

On s'y perd un peu. On a du mal à comprendre si ces « producers » sont des créatifs ou des businessmen ?
Les plus grands producteurs télé de l'histoire sont indéniablement les deux ! L'imagination est une qualité primordiale cela dit il faut aussi savoir bien s'entourer et trouver des gens capables à tous les endroits de la chaîne, créative, commerciale, financière. L'exemple de Dick Wolf est éloquent. Il n'écrit pas beaucoup mais il surpervise avec une main de fer sa franchise "Law and Order" dont une des séries (« Law and Order ») est en passe de battre le record de saisons (20 !) à la télévision américaine et deux autres marchent très bien. Wolf se contente d'impulser un esprit. Il se concentre sur les batailles de la revente qui vont générer des profits qui vont lui permettre de financer de nouvelles séries. Pour en revenir à votre question, les grands producteurs télé ont quand même tendance à être de grands auteurs.

La télé est le nerf de la guerre pour les grands studios. C'est un business qui a l'air extrêmement profitable ?
Les sommes qui sont en jeu sont colossales. Pour vous donner une idée, un Producer peut gagner jusqu'à 200 000 dollars par épisode durant une saison qui compte 22 ou 24 épisodes. Et ensuite, il y a toutes les questions de la revente de la série. Des shows comme « Seinfeld » ou « Everybody loves Raymond » ont atteint récemment le milliard de dollars de gain. Dans ce cas de figure, le créateur peut prendre jusqu'à un tiers ou 40% de cela ! Donc on parle souvent en centaines de millions de dollars !

Parlez-nous de producteurs historiques ?
Je dois tout d'abord préciser que quiconque crée une série dans cette industrie imprévisible est un chanceux, celui qui crée deux séries est réellement un acteur de poids de l'industrie. C'est une des choses les plus dures au monde d'arriver à l'antenne et d'exister sur la durée. Des gens comme Aaron Spelling, Norman Lear, Stephen J .Cannell, Steven Bochco, David E.Kelley, Donald Bellisario sont vraiment des producteurs qui ont montré qu'ils avaient la capacité à mener une voire plusieurs productions conjointement. Bellisario par exemple, est un mec très intelligent ; Pas le meilleur auteur, mais quelqu'un de sérieux qui saît maîtriser les coûts, qui sait ce qu'il veut. C'est ce genre de personnage qui rassure les networks car il connaît son métier et ne va pas vous ruiner en changeant d'avis toutes les cinq minutes. Ces gens-là sont vraiment les seuls grands personnages du hollywood télé. Les acteurs viennent loin derrière dans un medium où c'est plus le show qui fait la star que la star qui fait le show. Le contre-pouvoir se situe dans les chaînes. Ces dernières restent décisionnaires de ce qu'elles veulent passer sur leur antenne.

Comment analysez-vous l'évolution de la fiction ?

Je dirais que la renaissance de la télé est née de la fragmentation. La fragmentation des publics signifie que l'on va vers des produits par définition plus pointus, plus intéressants. La télévision est allée vers la fragmentation tandis que le cinéma est allé vers le produit universel. Le blockbuster calibré où une histoire est construite autour d'une colonne vertébrale d'effets spéciaux. Les producteurs télé n'ont pas les budgets pour faire ça. ils n'ont pas 115 millions de dollars à passer dans un gros épisode de deux heures. Non, eux, ils ont besoin de personnages, des personnages qui ont l'obligation d'être remarquablement écrits. Ce qui a tout fait basculé, en fait, c'est "Star Wars". Tout le monde a voulu imiter George Lucas et créer un film, une franchise aux valeurs universelles. Le cinéma a choisi cette direction de la globalisation avec des blockbusters qui doivent frapper en un temps record et puis disparaître jusqu'à la sortie du DVD ou du jeu vidéo.

Et pour la télé alors ?
A la fin des années 80 et au début des années 90, le jeu changé. La télévision avait vêcu un âge d'or du point de vue de ses ressortissants qui gagnait beaucoup d'argent même quand ils n'avaient pas beaucoup d'idées. Le gouvernement a autorisé une chaîne de télé à posséder sa propre division de production. C'est l'époque des regroupements massifs dans l'industrie de l'entertainment US. Les scénaristes télé ont commencé à être l'objet de beaucoup d'attention. Les gens qui étaient aux manettes de ces énormes conglomérats devaient des comptes à des actionnaires. Il n'était donc plus question de faire n'importe quoi. Fin des deals fabuleux avec des gens improductifs, fin des idées complètement barrées. Place aux profits maximum. Le système a connu quelques années de flottement et l'explosion de la bulle internet, le 11 septembre et l'apparition de la télé-réality n'a rien arrangé. Il y a eu peu à peu consolidation et là les patrons de division ont eu à nouveau le feu vert pour prendre des risques.

Vous ne parlez pas du câble ?

J'allais y venir. HBO a effectivement révolutionné la fiction télé en proposant des séries très pointues. Mais tout ceci n'a été possible que grâce à la consolidation de l'Empire Time-Warner qui a validé la politique désormais audacieuse d'HBO en matière de série. Dix ans auparavant personne n'aurait fait "Les Sopranos". Les sopranos existent car le cinéma est incapable de les faire. Même "The West Wing", une série sans sexe et sans explosion, peuplée de gens qui racontent des choses sérieuses, parfois même complètement novatrices d'un point de vue civique, ça ne se voit plus au cinéma, ou alors dans des proportions tellement confidentielles que ça ne compte pas.

Qui a changé ? les responsables de chaîne ou le public ?

L'audience n'a pas tant changé que ça. En tout cas pas en terme de ce qu'elle aime mais plutôt de comment elle regarde. La famille ne regarde plus de programme réunie. La mère a sa série, les enfants les leurs, quand ce n'est pas un jeu vidéo, il est devenu dur d'accrocher de très grandes audiences. Donc la mode s'est déplacée vers les publics de niches qu'une fiction très typée touche plus facilement. C'est plus facile de faire une fiction pour 10 personnes que 10 millions de personnes.

Les séries n'arrêtent pas de franchir des paliers toujours plus haut en terme d'audace ? Pourtant, il y a une pression terrible contre beaucoup de choses aux USA ?
Il y a toujours eu un débat sur cette nécessité d' "assainir" la télévision. J'ai entendu cela à toutes les époques. Ma conviction, c'est qu'on ne revient jamais en arrière. Dès qu'une série pousse le bouchon un peu loin, il y a des gens inquiets, on stagne mais c'est pour mieux repartir vers l'avant la saison suivante. Si ce n'est pas sur un network, c'est sur le câble premium puis sur Internet… Aller de l'avant, c'est la nature même du business.

vendredi 23 janvier 2009

Au pays de la créativité

Un journaliste américain me faisait remarquer que créer une série à succès pour la télévision US était quelque chose de très fort. Et qu'en écrire plusieurs comme messieurs Bochco, Bellisario, Kelley, Sorkin, Wells, Abrams tenait carrément du miracle. La concurrence et les obstacles sont tellement nombreux qu'il faut autant d'insconscience que de talent pour mener les entreprises à leur (bon ?) terme.
Pour connaître un peu le monde de la fiction française, je dirais que c'est peu ou prou la même chose. La grosse différence avec nos homologues Etatsuniens tient dans le fait qu'un développeur de projets, là-bas, est quasi-systématiquement sous la "protection" d'un contrat qui le remunère durant la phase de développement et le mènera à autres choses si d'aventures la série ne se fait pas. Il y a beaucoup plus d'incertitudes chez nous où vous pouvez développer une idée d'unitaire ou de série pendant un an et plus encore simplement avec le chèque de l'option (qui ne dépasse guère les 2000 euros net pour un auteur lambda). Tout ça bien sûr, conditionne le travail de l'auteur. Qui veut aller le plus vite possible, quitte à accepter au bout d'un moment des directions narratives qu'il ne souhaitait pas prendre quelques semaines plus tôt.
Le système, et le peu d'argent qui y est prévu pour les auteurs, casse la créativité.

dimanche 18 janvier 2009

Comment sont payés les auteurs américains ?



Comme le répète à l'envi Rob Long dans ses ouvrages décrivant la face cachée d'Hollywood, les auteurs sont des gens qui passent leur journées à boire du café, lire la presse spécialisée tout en se lamentant des bonnes choses qui surviennent aux copains. Accessoirement, il leur arrive d'écrire aussi. Une activité pour laquelle les studios hollywoodiens – bien conscients de ce que peut rapporter une série qui marche vraiment genre « Friends » ou « CSI / Les Experts » – les rémunèrent sous différentes formes que nous allons essayer d'expliciter ci-après.
Avant de rentrer dans le détail des chiffres, il faut tout de même dire que le marché américain est extrêmement concurrentiel pour ne pas dire féroce. Devenir auteur à Hollywood et en vivre n'est pas chose aisée. C'est donc un accomplissement qui mérite des revenus appropriés. Deuxièmement, le marché américain est bien plus attractif que le nôtre. Les chaînes sont plus grosses et s'adressent à une audience plus importante (segmentée ou pas). Le marché de la syndication (diffusion des séries sur des marchés locaux) mais aussi les deuxièmes et troisièmes fenêtres de diffusion sur des chaînes câblées a dopé les revenus des scénaristes d'une manière indéniable. Il faut ajouter à cela le talent que les américains ont toujours eu dès les années 60 à exporter leurs programmes (ce qui permet de nouveaux revenus).

Le Script Fee.
Le « script fee » ou forfait au script est une somme qui correspond à l'écriture d'un épisode. Les montants ne sont peu ou pas négociables car elles sont le fruit de conventions.
Les chiffres donnés par la WGA :
19 603$ pour une fiction de 30 minutes
28 833$ pour une fiction d'une heure
10 000$ pour une fiction de 30 minutes ne passant pas sur un network
20 000$ pour une fiction d'une heure ne passant pas sur un network.

L' Episode Fee ou Producing Fee

C'est là où les choses commencent à devenir intéressantes. Ce forfait s'adresse aux auteurs qui travaillent à l'intérieur des pools. Son montant est variable. Il est fonction du niveau que vous occupez dans la writing room. Le talent de votre agent et la consistance de votre CV peuvent aussi faire monter les prix. Disons que le prix plancher est aux environs de 7500 $, que quelqu'un ayant un minimum d'expérience va récolter environ 10 000$ l'épisode. Il pourra rajouter environ 1000 dollars à chaque fois qu'il montera dans la hiérarchie de la writing room (1). Ces sommes sont à multiplier par autant d'épisodes qu'il y a dans une saison. Les auteurs étant souvent payés à la semaine il faut alors diviser la somme totale gagnée par le nombre de semaines sur lequel s'étend la production de la série pour avoir une idée de l' « episode Fee » d'un auteur.
Prenons l'exemple assez « modeste » d'un staff writer qui gagne 10 000 euros par épisode. La série compte 13 épisodes. L'auteur gagne 13 X 10 000 soit 130 000 dollars qu'il faut diviser par 24, soit le nombre de semaines de production. L'auteur a un « Episode Fee » de 5416 dollars par semaine. A côté de ce type de somme qui est la norme vous avez les « Episode Fee » des showrunners qui sont négociés par les agents. Pour des garçons comme Marc Cherry (« Desperate Housewives ») ou Shawn Ryan (« The Shield ») la somme avoisine tout de suite les 100 000 dollars l'épisode. Bien entendu, il faut ajouter le produit des « Script Fee » que vous percevez dès que vous êtes auteur d'un épisode et auxquels viendront s'ajouter les « Residuals ».

Residuals
Les studios possèdent les droits des scripts des séries qu'ils produisent. Sous le contrôle de la WGA, ils sont obligés de payer aux auteurs des « residuals » pour cause de rediffusion ou de revente sur le câble ou à l'étranger. Le mode de calculs est très compliqués en fonction de la nature des rediffusions. Les taux ne sont pas les mêmes aux Etats-Unis et à l'étranger. Pour faire simple, disons que chaque nouvelle diffusion permet à l'auteur de toucher de l'argent. La première diffusion correspond au prix de l'écriture de l'épisode. Le tarif est alors dégressif. Précisons que ces sommes sont payées par le Studio sous le contrôle de la WGA.

Les deals de developpement
Les studios ne se contentent pas de gérer le quotidien. Il prépare activement l'avenir. Cela passe par le recrutement d'auteurs prometteurs mais aussi de grandes pointures de la profession pour lesquelles il va falloir casser sa tire-lire. A défaut de les faire travailler énormément, le studio est assuré qu'ils n'iront pas décrocher le jackpot chez un autre ce qui dans cette industrie peut suffire au bonheur de quelqu'un.

Le deal de développement le plus simple est certainement le « blind deal » dans lequel il est demandé à l'auteur de développer un script ou plusieurs sur une durée déterminée (de un à trois ans généralement). Ce type de développement permet de créer des séries tout en gardant ses attributions dans la writing room d'une autre série. Un blind deal peut rapporter en moyenne entre 100 000 et 250 000$.

Si l'on croit vraiment en vous. Et c'est souvent le prolongement naturel d'un blind deal qui s'est bien déroulé, on vous propose un « Overall deal ». Ce dernier vous attache au studio qui, pour la modique somme de 750 000$ à 1,5 millions $ par an vous demande de développer en exclusivité des concepts des séries (différents niveaux d'exclusivité peuvent venir se greffer là-dessus). Durant cette période si vous lancez une série, vous ne touchez aucun « Fee ». De toute façon, votre deal de développement prend en compte ce genre de rémunération et propose toujours plus (2). De toute façon, à ce niveau de négociations, votre agent fait pression pour que vous soyez associé aux futurs gains de la série, on entre là dans l'olympe de l'écriture hollywoodienne, soit une centaine de créateurs en activité dont les revenus se montent en dizaines voire en centaines de millions de dollars.

• EV


(1) – Story Editor, Producer, Supervising Producer, Executive Producer.
(2) - Le studio fait quand même un calcul et peut en payant un « development deal » raisonnable gagner de l'argent si on imagine que la série sur laquelle l'auteur travaille marche bien en audience et peut le voir demander une importante augmentation de ses « Episode Fee ».

N°6 à tout jamais


Je viens d'apprendre la mort de Patrick McGoohan. Même si on ne peut pas réduire le comédien à un seul rôle, cette info me renvoie au Prisonnier forcément. Un générique tendu et interminable. Une esthétique unique loin des studios hollywoodiens (que j'aime aussi mais pour d'autres raisons). La légende d'une série qui a su dès le courant des années 60 avertir le public des dangers orwelliens. Patrick McGoohan restera un acteur-auteur-créateur comme rarement on en aura connu dans l'histoire de la fiction télé.
Bonjour chez lui...

vendredi 16 janvier 2009

Discussion avec Fred Krivine

Frederic Krivine est l'un des rares auteurs de télévision française connu du public. Créateur de PJ dans les années 90, il construit une oeuvre marquée du sceau de la cohérence.


Depuis combien de temps travailles-tu dans l'industrie télé en tant qu'auteur ?
Depuis 1992, la série Les Enquêtes de Chlorophylle (52 X 13', France 3, Canal J, diffusée dans 25 pays). J'avais vendu en 1990 un traitement à Hamster pour la "série Noire" mais ils n'ont pas voulu que j'écrive le scénario.

Est-ce que quelque chose a changé depuis tes débuts ? (tarifs, thèmes, libertés, PAF)
Les choses changent surtout depuis 3 ans, c'est à dire depuis que la fiction française est vraiment en crise suite à la diffusion de séries US en prime-time. Les à-valoirs sont un peu plus bas, notamment parce que le 52 minutes est moins payé à la minute que ne l'était le 90. Sur les thèmes et surtout sur la façon de les traiter, il y a eu une chape de plomb entre la privatisation de TF1 et 2005 environ : on était pour l'essentiel dans le consensuel mou-centre gauche-humaniste-bien pensant en 90 minutes (à l'exception de la case du vendredi de France 2), et ce consensuel-mou faisait des scores d'audience tellement extraodinaires, même en rediffusion, qu'on ne voyait aucun changement possible venir.
Le PAf change depuis que les recettes des années 90 ne fonctionnent plus avec le public. Celui-ci est maintenant friand avant tout de 52 minute survitaminé de type NCIS, Experts, FBI, et il délaisse lentement les 90 minutes et complètement les 52 français, à la traîne derrière les modèles américains. On attend du 52 français original, pêchu, efficace et personnel.

Tu es quelqu'un de très occupé, raconte-nous les embouteillages d'emploi du temps et comment tu arrives physiquement à écrire autant pour plusieurs séries que tu développes ?
Je ne suis pas un surhomme, comme mes collègues US je ne devrais travailler que sur une série (d'ailleurs aujourd'hui je suis à temps quasi-plein sur le Village FRançais) C'est simplement les temps de réponse incroyablement longs des décideurs français qui m'ont obligé à initier plusieurs projets. C'est un problème, car on ne peut pas développer à fond deux séries en même temps; j'ai pu donner tout ce que j'avais sur le Village Français, pas sur DUO.

• Es-tu d'accord avec l'idée qu'un scénariste de télé travaille toujours sur trop de truc (toujours en train de développer ou de pitcher) ou pas assez ? (et que c'est le système qui veut ça) ?
C'est une constante de la majorité des métiers artistiques, en tout cas dans la fiction audiovisuelle.

• En matière de développement, te sens-tu privilégié ou faut-il que tu recommences chaque fois les mêmes étapes voire te sens-tu pénalisé car des boîtes ou des chaînes prennent peur en te voyant arriver ?
Je suis un privilégié, qui risque à tout moment de devenir pénalisé comme trop lourd, trop cher, trop grande gueule. Il suffit que les décideurs changent et qu'arrive à la direction de la fiction quelqu'un qui m'a dans le nez. Mais je n'ai pas peur.

• Il me semble que tu es aussi producteur sur "le Village français", ça t'apporte quoi, concrètement ?
Une sorte de droit de véto non écrit sur toute question artistique avant le tournage, et un fort droit de consultation à partir du tournage. Eventuellement une part importante des bénéfices s'il y en a.

• Avec "Nom de code : DP", tu sembles avoir passé un cap en terme de crédibilité dans un récit d'action / espionnage français ?
Que dire ? Les 16 premiers épisodes de PJ étaient très rigoureusement documentés et crédibles, j'avais passé un an dans des commissariats. Nom de code DP est une réussite artistique mais un grave échec d'audience, quelles qu'en soient les raisons, or en télévision, les auteurs et producteurs sont des saltimbanques, les chaînes sont les rois, et l'audience, c'est Dieu.

• Parle-nous de tes nouveaux projets ? (TPI, Duo, brigade financière ) -> Quelles infuences ?
Pour moi l'important aujourd'hui c'est Le Village Français, l'industrialisation de l'écriture tout en gardant intacte la qualité. J'espère que DUO sera diffusé rapidement et bien. Brigade Financière est un projet passionnant mais encore en développement. TPI (2 X 90') est une mini-série dans la veine de Nom de Code DP qui est assez avancée, et qui raconte l'enquête de deux flics français qui traquent un criminel de guerre serbe en Bosnie pour le compte du TPI de la Haye.

• Quelles sont tes influences en matière de télévision ?
Ed Mc Bain (auteur de polars) et donc Steven Bochco, plus généralement l'école américaine pour son travail en profondeur sur les personnages, sur l'empathie, l'universalité, et bien sûr sa capacité à industrialiser un point de vue personnel; j'ai toujours bouffé, depuis l'âge de 9 ans, des kiloheures de séries TV françaises et américaines, de Mannix aux Envahisseurs en passant par Vive la Vie (série quotidienne), L'Homme du Picardie, Noëlle aux Quatre Vents, Chasseur de Primes, Des Agents Très Spéciaux ou Mission Impossible.

Trouves-tu agaçant les procès d'intention qui sont fait à la télévision en son ensemble ?
"En France, à part lepublic, personne ne regarde la télévision" (Maurice Frydland) Non, je m'en fiche complètement, ce qui m'agace c'est la difficulté que ce milieu à a se remettre en question, à bosser, tout simplement, à étudier sérieusement les modèles artistico-économiques anglais, américains et allemands. Nous restons un tout petit pays de télévision alors que nous sommes un grand pays de cinéma.

Qu'est-ce que tu as aimé récemment en matière de série française ?
J'ai assez aimé SCALP, même si j'ai regretté le suicide du protagoniste du premier épisode, qui est une faute de débutant, et le fait de situer l'action dans les années 90; la deuxième saison d'Engrenages est extrêmement efficace, même si elle est moins originale que la première. La Commune, parti pris très fort, très personnel, casting et mise en scène exceptionnels, mais deux premiers épisodes un peu autistes.

• La querelle des réalisateurs (lettre musclée à la SACD réclamant plus de droits d'auteurs (nous y reviendrons)), tu en penses quoi ?
Les réalisateurs se battent plus pour une reconnaissance corporatiste que pour de l'argent et ils n'auront ni l'un ni l'autre.

• Tu participes à des opérations de formation des apprentis-auteurs (Marathon des bibles, etc...), c'est important pour toi ?
J'aime beaucoup la formation qui oblige à penser son travail et à se remettre en question. Il y a un manque de transmission de savoir-faire dans nos professions, que le CEEA et la FEMIS ne comblent pas suffisamment.

lundi 12 janvier 2009

Lemon & Jack

Je ne suis pas toujours d'accord avec les choix, souvent un peu hype, de l'association de la presse étrangère d'Hollywood. En revanche, en ce qui concerne la victoire conjointe de Tina Fey (meilleure actrice), Alec Baldwin (Meilleur acteur) et 30 Rock (meilleure série comique), je suis, on ne peut plus d'accord. C'est le type de série très rare qui vous faire rire aux éclats au point que le contrôleur vous vide du train... (21h40 sur le quai de la gare de Montbard, je ne souhaite ça à personne) mais qui peut aussi vous faire marcher dans la love affair de Lemon (excellente Tina Fey - et pas seulement depuis ses imitations de Sarah Palin). On est à la fois subjugué et malheureusement jaloux en se disant qu'on ne fera pas ce type de série chez nous avant 2043...

vendredi 9 janvier 2009

Mannix n’a tué personne












Quand j’étais gosse, regarder des séries télé américaines me paraissait indispensable pour une chose en particulier : Les explosions de voiture. Au terme de chaque poursuite automobile saturée de crissements de pneu, le véhicule du méchant tombait toujours dans un précipice. La scène se concluait par une explosion qui m’avait amené à l’époque à me demander qui pouvaient bien être les conducteurs des bolides carbonisés. Les producteurs devaient avoir le droit de demander à des condamnés à mort de choisir entre la chaise électrique où un accident spectaculaire dans Mannix ! C’est ainsi que se faisait dans ma tête d’enfant la distinction entre série américaine et série française.
Trente ans plus tard, j’ai un peu évolué dans ma connaissance des secrets de productions des fictions télévisées. Mannix n’a tué personne. Il faut dire qu’entre-temps, mon activité de journaliste m’a permis d’aller sur de nombreux plateaux de tournage du côté d’Hollywood. J’ai y rencontré des gens pour la plupart passionnés et soucieux du moindre détail concernant leur création, qu’ils soient showrunner multimilliardaire ou simple technicien. Les fictions télé sont devenues d’une complexité incroyable. Elles n’ont jamais autant parlé du monde qui les entoure tout en n’oubliant jamais d’être divertissantes. Voilà, une équation qui m’a toujours plu. C’est peut-être pour ça qu’un jour, je me suis mis moi-même à écrire de la fiction. Pas grand chose. Des scketchs puis de la série jeunesse. Des histoires pour l’access, et bientôt la cour des grands : le prime-time. Maintenant, j’y suis. J’attends ma première explosion de voiture.

Ma femme n'y connait rien



Il y a quelques soirs de cela, à la fin de l'épisode de la série que nous regardons en ce moment, ma femme, qui n'est pas du tout du milieu de la télé, s'est retournée vers moi et m'a demandé pourquoi les séries américaines étaient si efficaces. Certainement un peu las de répondre à cette question, je lui ai rappelé qu'il était tard et que demain les enfants allaient se lever très tôt. J'aurais surtout dû lui dire que l'efficacité des séries US était une question de structure. Mais pas seulement, c'est plus compliqué que cela. Et là, on n'aurait pas été couché…
Ce qu'il faut bien savoir c'est que les histoires racontées par les séries télévisées ont été découpées en actes bien définis, non pas pour des raisons de dramaturgie, mais avant tout par la volonté des networks qui ont décidé, au sortir des années 60, d'installer les spots de publicité au milieu des programmes. Un système bien plus rentable que le sponsor unique traditionnel qui communiquait en début et fin d'épisode. Cette nécessité économique a eu pour effet de structurer les fictions et la manière de la raconter au téléspectateur. A partir de ce moment, on a assisté au formatage des histoires avec une structure quasi-immuable ressemblant, à peu de choses près, à ça : un prégénérique haletant (ou cold open), une exposition rondement menée puis une fausse piste suivie d'une importante révélation (turning point) , ensuite une tentative infructueuse de résolution (nouveau turning-point) et enfin une résolution (climax et éventuel pay-off). Une forme contraignante qui est aussi devenue un garde-fou au fil du temps. Le découpage de la très grande majorité des séries américaines est tellement imprimé dans nos rétines que si on nous demandait de construire une histoire, nous nous dirigerions assez naturellement vers cette structure qui a permis de produire tant de programmes depuis que la télévision existe.
Aujourd'hui, la plupart des séries se déclinent en quatre ou cinq actes. Avec des épisodes à qui l'on demande rigueur et efficacité. On va à l'essentiel en terme de narration car la minute est chère. La manière dont ont fondu les génériques de la plupart des séries coupées par la pub (network et câble premium) en est l'un des signes les plus voyants. Un épisode de série traditionnelle (enlevons les séries HBO / Showtime) tourne autour de 40 minutes et il faut les employer quasiment toute à installer, faire vivre et conclure une histoire que l'on doit reconnaître au premier coup d'œil. Les auteurs n'oublient jamais sur quelle série ils travaillent. Petit rappel : Une série de télévision américaine est un ensemble d'histoires mettant en scène des personnages dont nous allons suivre les trajectoires dans un univers déterminé. Chaque personnage avec ses moyens propres va suivre des buts. Chaque nouvelle histoire doit s'insérer dans ce schéma à la fois simplissime et ardu. C'est ce que les Américains appellent la « franchise » du show. Un ensemble de règles qui font la série. Sans elle, c'est le chaos.
Autre donnée importante. Les séries américaines sont placées dans un environnement hautement concurrentiel. Résultat, la franchise de la série doit être séduisante, c'est une évidence, mais ce constat doit également s'appliquer à chaque épisode et à chaque moment important de l'épisode. Chaque final d'acte doit dire « ne partez pas, après ça va être dément », cette course au teasing qui impose désormais des cliffhangers à chaque coupure pub peut paraître artificielle et fatigante. C'est simplement elle qui apporte le rythme tant loué des séries US. Et pour finir sur telle réplique de tel personnage, tout l'acte avant va devoir s'articuler d'une certaine manière, avec en point de mire, une efficacité maximale. Cette technique est très voyante voire agaçante sur des séries comme « 24 », « Lost » ou même « Weeds » mais elle s'applique aussi sur des oeuvres tendant vers le réalisme comme « Friday Night Lights ». Tous les auteurs américains avec qui j'ai pu en discuter, soulignent tous à peu près les mêmes choses. La contrainte est finalement un très bon moteur de création. La concurrence aussi, celle qui vous pousse à rendre des histoires avec le petit plus qui va faire la différence. Les délais également, souvent quasi-impossible à tenir, obligent les showrunners à procéder à des arbitrages radicaux. Quelquefois ça ne marche pas du tout. Mais chez les auteurs américains on sait qu'on peut toujours faire mieux la semaine suivante. L'efficacité est à ce prix. Il faut faire des paris et ce n'est pas à une chaîne de les proposer. Elle peut tout au plus les accepter. C'est déjà beaucoup. Bon, là bien sûr, ma femme dort depuis longtemps. Promis, je lui en parle demain soir.

mardi 6 janvier 2009

Pourquoi tant de haine ?

Je viens de voir "Les enfants d'Orion", fiction produite pour France 2. Est-ce que quelqu'un pourrait m'expliquer pourquoi Clémentine Célarié joue frénétiquement du violoncelle au fond d'une grotte ? C'est une allusion à "Twin Peaks", c'est ça ?

lundi 5 janvier 2009

Travailler plus pour gagner un peu...

Une de mes co-auteures me dit toujours que l'une des raisons de la médiocrité de la fiction française vient du fait que nous travaillons trop. Attention, elle n'insinue pas que nous ne devrions plus bêtonner les univers que nous voulons traiter. Non, ce qu'elle veut dire c'est que les conditions dans laquelle les maisons de production nous placent (frilosité à prendre des options, propositions à la baisse sur les sommes de ces mêmes options) nous obligent à multiplier les envois de projets, à pitcher plus que de raison, donc en gros à nous éparpiller intellectuellement et physiquement là où nous devrions être à fond sur un seul thème. Quand on ne sait pas de quoi demain sera fait (ce qui est le cas d'une grande majorité de scénaristes en France), on se place immanquablement dans cette optique. Le système est pernicieux. Soit on est modeste en matière de développement de projet et en pitch à des prod existantes et on se retrouve immanquablement le bec dans l'eau, une réponse ou le passage à une étape suivante pouvant parfois prendre plusieurs mois, soit on est boulimique et on s'expose à voir plusieurs des projets sur lesquels on est impliqué partir en développement et ainsi ne pas pouvoir honorer la commande de la meilleure façon. En même temps, si c'était simple, tout le monde serait scénariste, non ?

jeudi 1 janvier 2009

Entretien avec quelqu'un de bien (David simon)

David Simon est un des auteurs majeurs de la télévision US. Son oeuvre télé ("The Corner", "The Wire", "Generation kill" ) est un portrait sans compromission de l'Amérique des années 2000. Personnalité complexe de par ses activités de reporter, d'enquêteur, de romancier et désormais de scénariste-producteur, David simon est aussi quelqu'un de simple et passionné. Toujours disponible quand il s'agit de parler de ses idées sur l'écriture, la télévision et les Etats-Unis. Voici un échange que nous avons eu en mars 2008 et qui est paru dans un numéro de la Gazette des scénaristes.


Vous avez terminé récemment la production de « The Wire », série hors-norme qui restera dans les annales de la fiction télé. C'est facile d'arrêter une telle œuvre ?
C'était étrange mais j'ai eu tellement de boulot sur d'autres projets à ce moment précis que je n'ai même pas vraiment eu le temps d'y penser. Bien sûr, le dernier jour de tournage a été quelque chose de fort et pendant que nous faisions la fête et que nous nous embrassions tous, on savait qu'on finissait un truc énorme. De mon côté, je me suis retrouvé quasi-immédiatement en Afrique du Sud sur le tournage de « Generation kill », la minisérie sur la guerre en Irak qui sera programmée après « The Wire » sur HBO. En fait, je ne suis pas sûr que nous ayons bâti quelque chose avec « The Wire ». Je pense que la série est solide et que nos thèmes sont forts. Ça devrait se regarder encore un peu pendant quelque temps. Le temps nous le dira.

Qu'avez-vous appris sur la télévision en produisant « The Wire » ?
J'ai appris que la télévision peut être un medium accueillant des histoires à la narration sophistiquée, surtout si vous êtes entouré de gens qui maîtrisent leur sujet en matière de photographie, de mise en scène, de jeu d'acteur et surtout que les responsables des chaînes vous laissent en paix. C'est beaucoup demander pour l'industrie de la télévision mais grâce au câble payant et à ses séries, c'est devenu chose possible.

De quoi êtes-vous le plus fier s'agissant de « The Wire » ?
Je suis fier que nos intrigues et les thèmes que nous avions choisi d'explorer soient restés intactes et intègres pendant les soixante heures que dure la série. On a mis le paquet sur les arches narratives. On a jamais foncé dans des impasses pour les besoins d'un épisode qui nous faisait "triper". On est restés concentrés sur ce qu'on voulait dire. Chaque personnage introduit avait une fonction réellement définie. Nous savions ce qui allait arrivé à chacun de nos personnages. Je pense que l'ensemble de la série respire cette exigence.

Que pensez-vous de cette nouvelle génération de série du câble qui opèrent une course vers des thèmes de plus en plus décalés ? N'est-ce pas une facilité de parler avec des langages orduriers, montrer de la violence ou des corps nus pour attirer les téléspectateurs ?
Je n'ai jamais envisagé ce type de scènes comme un avantage ou un désavantage. Mes personnages parlent d'une certaine manière et agissent comme ils doivent le faire. Ils font l'amour quand c'est utile pour l'histoire. Ils sont violents quand c'est utile pour l'histoire. Ce que je veux dire, c'est que nous n'écrivons pas des scènes en imaginant qu'elles vont nous rapporter des téléspectateurs, nous avons la faiblesse de croire que nos personnages agissent et font ce qu'ils ont à faire. Est-ce que les fictions du câble ne permettent-elles pas du même coup, une vision plus juste du monde ? C'est possible. En tout cas, sans la présence de ce genre de fiction à la télé américaine, je n'écrirais pas pour la télé mais j'écrirais plutôt des romans j'imagine. Cette vision est partagée par les autres scénaristes de « The Wire ».

Après la fin de « The Wire », vous avez enchaîné avec la production de « Generation kill ». Ce n'est plus votre univers de Baltimore que vous connaissez si bien. Comment avez-vous fait ?
Je crois qu'on l'a bien fait surtout. « Generation Kill » représente pour moi, la meilleure œuvre journalistique sur la Guerre en Irak et j'ai été incroyablement honoré d'avoir été choisi pour adapter le livre d'Evan Wright pour HBO. Ce sera une mini-série de sept épisodes qui va être diffusées cette été aux Etats-Unis. Elle a été écrite par Evan Wright et Ed Burns, mon partenaire sur « The Wire » et également vétéran du Vietnam. Ed est venu avec moi en Afrique pour la totalité du tournage et on a collaboré avec Andrea Calderwood qui était producteur pour la compagnie anglaise Picture company. Nous avons travaillé avec eux et George Faber pour ce qui est, à mon goût, une superbe réussite. Nous avions un peu peur de travailler hors du cocon fabriqué à Baltimore mais en fait, il nous était impossible de mener de front la dernière saison de « The Wire » et la préparation et l'écriture de « Generation kill ». Cela étant dit, je dois quand même dire que le travail a été facilité par la présence d'Evan Wright lui-même. C'était lui, le journaliste assis dans le Humvee en 2003 et son point de vue ainsi que ses idées étaient essentielles pour le projet. C'est son histoire et notre mini-série relate cela.

Qu'avez-vous fait durant la grève menée par WGA contre les studios et les networks ?
J'ai fait pas mal de travail de post-production et j'ai supervisé la fin de la production de « Generation kill », il faut dire que la firme qui produisait la mini-série n'était pas affiliée à la WGA et le projet était terminé au 5/6eme. Stopper le travail à ce moment pour moi aurait été stupide et improductif, cela dit je n'ai rien écrit durant la grève de la WGA que je soutenais totalement. J'étais très partisan de finir la mini-série car je pense qu'elle serait plus à sa place diffusée en pleine élection présidentielle. Il était donc plutôt bien vu de mener le projet jusqu'au bout.

Cette grève, qui l'a gagné au final ?
La WGA a remporté des choses mais les studios ont réussi à conserver des acquis. La grève était une nécessité. La position des studios concernant les futurs revenus numériques était complètement scandaleuse. En fait, nous aurions dû régler cette question il y a trois ans voire même six. Malheureusement, à cette époque, la guilde des auteurs était dirigée par une poignée d'incapables qui ont préféré jouer la carte de leurs intérêts personnels car ils étaient liés avec les studios. La situation s'est dégradée et lors de la grève 2007-2008, il était dur de négocier quelque chose. Aujourd'hui le problème des revenus sur les DVD est un problème. Si vous ne me croyez pas, je vous montrerai mes relevés de residuals (NDA : sorte de droit que l'auteur au moment des diffusions ou d'un achat en DVD par exemple). Sur les ventes de DVD de « The Wire ». Je reçois des chèques de 19 dollars, 22 dollars… Nous n'avons jamais eu une part du gâteau du lucratif marché des DVD parce qu'elle n'a jamais été négociée. C'est pour cela que nous avons décidé de nous accrocher avec les nouveaux médias. Il aura fallu la grève de ces derniers mois pour que nous en parlions.

Comment voyez-vous le futur de la télé américaine ?
Je sais une chose : le système des audiences mésurées par Nielsen est dans une phase de mort lente. La télévision US va se transformer en quelque s'approchant d'une bibliothèque de prêt avec des téléspectateurs qui voudront regarder exactement ce qu'ils veulent au moment où ils le veulent. La popularité d'une série va se mesurer en épisodes téléchargés en VOD. Le dimanche soir, tout au long de sa carrière, « The Wire » a attiré en moyenne un million de téléspectateurs. Mais finalement, nous étions intéressants pour HBO car nous générions de solides VOD, le passage sur HBO2 un peu plus tard dans la semaine n'était pas négligeable non plus et nous étions parmi les séries les plus téléchargées illégalement. Je ne parle même pas des 500 000 DVD vendus. Etre avec HBO me permet d'écrire des séries ambitieuses mais aussi de travailler avec un diffuseur qui a compris les nouvelles données de l'internet.

Avez-vous l'impression d'avoir été influencé par d'autres séries TV ?
Je ne suis pas un enfant de la télévision. Je la regarde très peu. J'admire le travail effectué sur « The Sopranos » ou « Deadwood » et j'ai découvert récemment les joies de « Weeds » sur Showtime. J'ai aimé regarder « The Honeymooners » quand j'étais gamin mais ça s'arrête à peu près là. Je lis beaucoup et j'utilise une logique tout droit sortie des structures cinématographiques plutôt que des formes imposées de l'écriture télé classique. C'est une façon de raconter des histoires qui me convient mieux.

« The Wire » raconte l'Amérique. Une autre série l'a fait, d'une autre façon, il s'agit de « The West Wing » d'Aaron Sorkin. Voyez-vous des points communs entre votre série et la sienne ?
Il n'y a pas de liens que je puisse réellement discerner. J'ai vu assez d'épisodes de « The West Wing » pour conclure que la série ne restitue pas les réalités de la politique américaine d'aujourd'hui. Du coup, ça ne m'intéresse pas. Pour le reste, ça semble très bien écrit mais c'est bien trop théorique pour moi. Ça ne restitue pas assez selon moi l'effet d'inertie qui caractérise notre système actuel.

Quel sera votre prochain projet ? Souhaitez-vous développer un nouveau projet dans l'univers de Baltimore ou vous sentez-vous prêt à partir à L.A ou New-York ?
Ça sera La Nouvelle-Orléans si tout se passe bien. J'espère pouvoir créer une série basée sur un quartier renaissant dans l'après-Katrina. Un endroit dans lequel des musiciens mais aussi des gens de tous les jours tentent de reconstituer leurs vies.

S
elon vous, quel est le futur de la télévision en terme de modèle économique et de production ?
Aujourd'hui, la narration audiovisuelle dépasse toutes les autres. Ce qui est plutôt regrettable car les livres restent un moyen inégalé pour faire passer des nuances et traiter des thèmes que l'audiovisuel ne peut approcher ou alors de manière ampoulée et artificielle. En 50 ans d'existence, la télévision américaine a dû s'adresser à une audience de masse pour laquelle elle a dû créer une narration évitant le plus possible les controverses, les sujets trop pointus ainsi que les sujets les plus tabous. Le câble a profondément changé cet état de fait et internet sera le prolongement de cela. Aujourd'hui, le câble payant autorise la production de séries avec des points de vue très forts, des questions politiques et une écriture intelligente. Les chaînes qui produisent de tels programmes n'ont pas besoin d'audience monstre. Elles produisent des séries pour lesquelles quelqu'un accepte de payer une somme d'argent pour s'abonner à la chaîne. « The Wire » n'aurait jamais pu exister sur un network. Elle n'aurait jamais eu une audience nécessaire. Le fait que nous soyons sur HBO qui cherche à diffuser des séries qui ne passent nulle part ailleurs, nous a permis de durer cinq saisons. Quoiqu'on en dise, l'avenir est plutôt à ce genre de production qu'à des séries de grande écoute. Et moi, ça me plaît.
EV • Mars 2008

Le pourquoi du comment du pourquoi...

Il y a tant à dire. Je pourrais peut-être commencer en expliquant pourquoi ce blog existe. Je veux parler de fiction télé. Elle me fascine, elle me transforme, elle m'interroge, elle me déçoit, elle m'énerve. Ceux qui viendront ici savent certainement de quoi je parle. Ils sont peut-être eux-mêmes auteurs ou en voie de l'être, amoureux des fictions, fans hardcore de séries américaines, anglaises, australiennes, allemandes (si, si...). Soyons clairs Je ne vais pas développer ici un nouveau site traitant de "Veronica Mars", "Lost" et consort. Il y a déjà beaucoup de sites ou de blog qui le font parfaitement. Non, je veux vous parler de séries françaises. De leur fabrication, de ce qui les sclérose, de leur spécificité et de leur potentiel. Depuis que je m'intéresse à cet univers, vingt ans tout de même..., je reste fasciné par l'incapacité chronique qu'a l'industrie télévisée française à ne pas développer avec régularité des séries de qualité. Si vous prenez la liste complète des productions françaises, vous y trouverez de grandes productions ("Belphégor", "Les Rois Maudits", "Les Saintes chéries", "Les cinq dernières minutes" et plus récemment des séries comme "Reporters", "Sur le fil" "Fais pas çi, fais pas ça" ou des séries plus courtes comme "Les oubliées" ou encore une pléiade d'unitaires qu'il serait vain de citer aujourd'hui mais il faut quand même avouer qu'on est plus souvent déçus qu'agréablement surpris en regardant des productions françaises. Pourquoi ? J'ai souvent eu la dent dure contre ces mêmes fictions quand j'étais journaliste. Moins par snobisme que par la douloureuse analogie que je faisais avec les séries US. J'avais l'occasion (la chance dirons certains...) de voir comment fonctionnait le système des studios US (objet de futurs post, je pense) et je ne pouvais que tomber de haut lorsque je pénétrais ensuite les plateaux de tournage de "Navarro" et de "Lea Parker". Des endroits où l'on ne sent pas assez les gens concernés par la production sur laquelle ils travaillent (attention, il existe des passionnés mais je pense qu'il 'y a pas assez d'investissement perso comme ceux que j'ai vu aux Etats-Unis). Il faut aller sur le set de "CSI" ou de "Buffy", discuter avec des auteurs, des techniciens, des conseillers pour comprendre.
On m'a ensuite donné l'opportunité d'écrire et j'ai vite compris que l'écriture télé était un métier extraordinaire mais extrêmement singulier qui demande de la persévérance, de l'imagination, un sens assez dévéloppé du calcul politique comme d'une bonne cargaison de patience. C'est de tout ça dont je voudrais faire mention dans ces pages. Avec franchise, esprit critique, mais non sans humour parce que donner des leçons ne fait pas partie des buts de ce lieu de discussion. En parallèle, je publierai ici aussi des portraits ou entretiens avec des protagonistes du monde télévisé (français ou étrangers).
Voilà, il ne reste plus qu'à maintenant... Bon, c'est parti, alors...