jeudi 2 décembre 2010
Quand Tim Kring était le roi du monde.
Interview Tim Kring – 1ere Partie
Tim Kring a dirigé la série la plus excitante de la saison 2006-2007. Avec « Heroes », il signait cette saison-là la seule série de NBC qui réussissant simultanément à faire parler d'elle tout en accumulant des résultats d'audience satisfaisants. Le showrunner, par ailleurs créateurs de la série « Crossing Jordan » était de passage à Paris, en 2008 lors d'un séminaire organisé par l'AIM (Association Internationale des Médias). Modeste et jouant le jeu, Kring a accepté de revenir longuement sur sa création.
Comment êtes-vous arrivé à proposer un projet aussi fou et ambitieux à NBC ?
Je dois tout d'abord parler du contexte de production américain. Avant « Heroes », j'avais déjà créé une autre série « Crossing Jordan » déjà pour NBC et puis j'avais eu l'occasion de me faire les dents sur des séries du calibre de « Chicago Hope » et « Strange World ». Ça m'a servi. Il faut quand même savoir que la télévision US est un business complètement fou où rien, ou presque, ne fonctionne. Rendez-vous compte, c'est un milieu où l'auteur est le boss. Du coup, ce n'est pas étonnant que tant de séries soient des désastres !!! Ce que je veux dire c'est que tous les auteurs n'ont pas vocation à être des showrunners, des patrons de séries qui ne font pas seulement qu'écrire mais s'occupent aussi du management de la série. Pour en revenir à « Heroes »,j'ai eu l'idée de cette série en pensant à deux long-métrages « Eternel sunshine of the spotless mind » et « The Incredibles ». Personnellement, j'avais un deal de développement avec NBC sauf que je venais de passer quatre ans à développer « Crossing Jordan ». Entre-temps, le network était tombé en chute libre. Ils cherchaient des séries différentes et ambitieuses. J'ai vu « Lost » comme tout le monde et bien sûr j'ai eu envie de faire aussi un serialized show (NDA : série hyper-feuilletinnante). Très vite j'ai eu des certitudes. Celle par exemple qui disait qu'il fallait que je bâtisse ma série autour d'un ensemble cast et pas d'une star. Ma précédente expérience avec Jill Hennessy, le personnage principal de « Crossing jordan » m'a suffi. En observant mes enfants, j'ai aussi remarqué que la notion de héros avait changé. Aujourd'hui avec les menaces terroristes et le réchauffement de la planète, les intrigues doivent être beaucoup plus ambitieuses. Je ne pouvais plus me contenter de policiers, la conclusion était qu'il me fallait des super-héros. Pour en revenir aux deux long-métrages qui m'ont influencé , vous remarquerez que ce sont deux films complètement différents mais qu'une idée force les nourrit tous les deux. Ils véhiculent des thèmes de science-fiction mais placés dans la vie de tous les jours. C'est le cœur de ma réflexion sur « Heroes ».
Comment avez-vous abordé l'univers des super-héros ? Etes-vous un gros connaisseur de comic-books ?
J'en ai lu, comme tout le monde. Ce que je dois dire tout de suite c'est que « Heroes » ne prétend pas révolutionner le monde des super-heros. D'ailleurs nos idées sur ce point ne sont pas d'une originalité folle. C'est surtout la façon de raconter qui fait le sel de la série. Pour développer le pitch de la série, j'ai travaillé avec Jack Lowe un véritable auteur de comic-books. Je suis allé le voir chez lui et en 3h je lui ai pitché tous les personnages. J'ai tout de suite compris qu'il avait déjà entendu 50 fois des histoires comme la mienne. Mais ça n'était pas grave. Je ne prétends rien avoir inventé. Je dirais même que je me suis nourri des stéréotypes de cet univers. On a surtout essayé de se concentrer sur des aspects de la question. Comment ces super-pouvoirs vont-ils entrer en jeu ? Que feriez-vous si c'était vous ? Quel pouvoir aimeriez-vous détenir ?
Comment s'est passé la présentation ?
Bon, je vais être honnête. Les séances de pitchs ne sont pas les mêmes si vous êtes un inconnu ou un showrunner respecté. En plus, je savais que NBC était en difficulté et donc à la recherche de projets. Dans un network, vous avez un département qui reçoit tous les projets. De tout ça, ils vont garder 60-70 projets et vont décider de tourner des pilotes d'une petite dizaine de ces projets. Ensuite 4 ou 5 seront mises à l'antenne et une a peut-être une chance de devenir un succès. Ce qu'il faut savoir aussi, c'est que les gens qui travaillent dans ces départements de développement passent leur temps à se demander ce qui ferait plaisir à leur boss. Alors qu'ils devraient se demander ce qui ferait plaisir aux téléspectateurs. J'avais tellement la série en tête que j'avais écrit le script du pilote pour pouvoir rassembler les éléments que je voulais pitcher. Ensuite, j'ai essayé de ne pas trop leur laisser le temps de triturer le projet dans tous les sens. Je n'avais jamais le temps de répondre à leurs questions car je devais aussi gérer « Crossing Jordan »… Ensuite, j'ai fait jouer mes appuis. Chaque projet qui arrive en finale a besoin d'appuis intérieurs. Mon autre grande chance c'est d'être un auteur « in-house ». A savoir que je suis sous contrat avec NBC universal – le studio – et que je développe pour NBC – la chaîne -. Or depuis quelques années, avec la concentration du secteur, les chaînes se sont mises à commander beaucoup de choses à leurs propres studios. Le gros avantage de « Heroes » est d'être une série qui sort du traditionnel format télé. La série a un énorme potentiel dans le domaine du merchandising et d'internet. General Electric qui possède NBC est un groupe qui a vocation à se développer sur la toile, donc « Heroes » était potentiellement intéressant pour eux. Bien sûr, j'avais dit tout cela dans mon pitch où très vite je suis sorti de la seule vision télé pour faire du projet quelque chose de plus large. Et bien sûr, ça parle. NBC a besoin de séries pouvant générer du buzz médiatique. Sur « Crossing jordan », j'ai travaillé avec Damon Lindelof (futur co-créateur de « Lost»). Tous les deux, nous étions de grands fans de Charles Dickens. Il faut savoir que la plupart de ces œuvres ont été écrites pour paraître en feuilleton dans des quotidiens. Avec Damon, on était fasciné par tout ça. Nos projets que se soit « Lost » ou bien « Heroes » sont au carrefour de nombreuses influences en matière de narration : littérature, jeux vidéo, internet. General Electric l'a compris. Ils nous ont convié à des réunions où nous retrouvions à quatre auteurs en baskets face à 50 executives en costume Armani ! On leur racontait nos idées et on les retrouvait quatre mois plus tard dans le business plan de la multinationale… On suit tout cela avec intérêt car aujourd'hui des choses se passent en matière de droits. Notre travail n'est pas assez reconnu (que ce soit les DVD, les sites internet, les podcasting). Il pourrait y avoir la grève dans peu de temps à Hollywood à cause de cela.
Comme définiriez-vous votre création ?
Indéfinissable. Nous sommes comme « Lost » (rires). D'ailleurs, c'est grâce à la série de Damon (Lindelof) et Carlton (Cuse) que nous existons. Je dirais que nous appartenons à cette famille des séries multi-genres, avec une sérialité très forte et une narration basée sur un ensemble cast. Plus spécifiquement dans « Heroes », il y a son universalité et puis son message d'espoir.
Pourquoi les « héros » sont-ils quasiment tous américains ?
Il y a bien sûr eu des discussions là-dessus. Il y a des gens avec des pouvoirs qui ne sont pas américains. On a déjà un personnage japonais et puis on va voir un personnage européen, à priori français, dans la série dès le début de la saison 2. Après, on n'a pas fait un travail insensé là-dessus. On est allé vers des archétypes, je pense à la cheerleader texane. Mais la danseuse de charme ou le geek japonais font partie de ces personnages savoureux. Très important aussi, le seul personnage sans pouvoir mais indispensable à tout ça est un indien, comme quoi…
La série est vraiment très feuilletonnante, comment placez-vous le destin des personnages par rapport à ça ?
Dans l'idéal, on voudrait essayer de placer nos personnages sur plusieurs saisons mais soyons clairs, il y a de nombreux impondérables par rapport à tout cela. Il suffit que deux personnages fonctionnent ensemble et ça influe sur l'histoire et modifie l'ensemble des arches narratives. Le fait d'avoir anticipé et d'avoir découpé notre saison en trois tronçons de 11+6+7 épisodes nous a, bien sûr, permis de mieux gérer les frustations qu'a pu générer « Lost » vis-à-vis de ses fans.
Comment s'est effectué le choix des pouvoirs des personnages ?
Je crois qu'il était important que les pouvoirs ne soient pas totalement gratuits. On a donc cherché des choses qui en plus d'être fantastiques et, accessoirement, sauvent le monde, aident nos personnages. Ainsi, le policier qui etend ce que les gens pensent fait mieux son boulot, la danseuse est protégée par son double tueuse, le japonais se téléporte, il fuit pour s'évader de sa vie quotidienne plutôt morne…
Comment s'organise l'écriture d'un tel show ?
On a une structure assez singulière. Quand on a été choisis en mai 2006, on nous a dit que nous serions à l'antenne assez vite à la rentrée. Ça impliquait un tournage dès juillet. Pour des raisons de narrations et de budget, nous avons tourné les trois premiers épisodes ensembles. Très vite, on s'est aperçu qu'on allait avoir beaucoup de pains sur la planche. On a donc décidé de tout écrire à dix. Celui a eu le crédit est celui qui compilait les idées de tout le monde, a gérait les notes de la chaînes et la mise en chantier des épisodes. Il fallait être efficace et relativement autonome. Chacun de nos auteurs est un showrunner en puissance. On s'appelle entre nous les Yankees (du nom de la prestigieuse équipe de base-ball new-yorkaise).
Propos compilés par Eric Vérat lors du Master class de Tim Kring sous l'égide de l'AIM
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