Entretien réalisé avec David Simon en 2008
EV : Vous avez terminé récemment la production de « The Wire », série hors-norme qui restera dans les annales de la fiction télé. C'est facile d'arrêter une telle œuvre ?
C'était étrange mais j'ai eu tellement de boulot sur d'autres projets à ce moment précis que je n'ai même pas vraiment eu le temps d'y penser. Bien sûr, le dernier jour de tournage a été quelque chose de fort et pendant que nous faisions la fête et que nous nous embrassions tous, on savait qu'on finissait un truc énorme. De mon côté, je me suis retrouvé quasi-immédiatement en Afrique du Sud sur le tournage de « Generation kill », la minisérie sur la guerre en Irak qui sera programmée après « The Wire » sur HBO. En fait, je ne suis pas sûr que nous ayons bâti quelque chose avec « The Wire ». Je pense que la série est solide et que nos thèmes sont forts. Ça devrait se regarder encore un peu pendant quelque temps. Le temps nous le dira.
EV : Qu'avez-vous appris sur la télévision en produisant « The Wire » ?
J'ai appris que la télévision peut être un medium accueillant des histoires à la narration sophistiquée, surtout si vous êtes entouré de gens qui maîtrisent leur sujet en matière de photographie, de mise en scène, de jeu d'acteur et surtout que les responsables des chaînes vous laissent en paix. C'est beaucoup demander pour l'industrie de la télévision mais grâce au câble payant et à ses séries, c'est devenu chose possible.
EV : De quoi êtes-vous le plus fier s'agissant de « The Wire » ?
Je suis fier que nos intrigues et les thèmes que nous avions choisi d'explorer soient restés intactes et intègres pendant les soixante heures que dure la série. On a mis le paquet sur les arches narratives. On a jamais foncé dans des impasses pour les besoins d'un épisode qui nous faisait "triper". On est restés concentrés sur ce qu'on voulait dire. Chaque personnage introduit avait une fonction réellement définie. Nous savions ce qui allait arrivé à chacun de nos personnages. Je pense que l'ensemble de la série respire cette exigence.
EV : Que pensez-vous de cette nouvelle génération de série du câble qui opèrent une course vers des thèmes de plus en plus décalés ? N'est-ce pas une facilité de parler avec des langages orduriers, montrer de la violence ou des corps nus pour attirer les téléspectateurs ?
Je n'ai jamais envisagé ce type de scènes comme un avantage ou un désavantage. Mes personnages parlent d'une certaine manière et agissent comme ils doivent le faire. Ils font l'amour quand c'est utile pour l'histoire. Ils sont violents quand c'est utile pour l'histoire. Ce que je veux dire, c'est que nous n'écrivons pas des scènes en imaginant qu'elles vont nous rapporter des téléspectateurs, nous avons la faiblesse de croire que nos personnages agissent et font ce qu'ils ont à faire. Est-ce que les fictions du câble ne permettent-elles pas du même coup, une vision plus juste du monde ? C'est possible. En tout cas, sans la présence de ce genre de fiction à la télé américaine, je n'écrirais pas pour la télé mais j'écrirais plutôt des romans j'imagine. Cette vision est partagée par les autres scénaristes de « The Wire ».
EV : Après la fin de « The Wire », vous avez enchaîné avec la production de « Generation kill ». Ce n'est plus votre univers de Baltimore que vous connaissez si bien. Comment avez-vous fait ?
Je crois qu'on l'a bien fait surtout. « Generation Kill » représente pour moi, la meilleure œuvre journalistique sur la Guerre en Irak et j'ai été incroyablement honoré d'avoir été choisi pour adapter le livre d'Evan Wright pour HBO. Ce sera une mini-série de sept épisodes qui va être diffusées cette été aux Etats-Unis. Elle a été écrite par Evan Wright et Ed Burns, mon partenaire sur « The Wire » et également vétéran du Vietnam. Ed est venu avec moi en Afrique pour la totalité du tournage et on a collaboré avec Andrea Calderwood qui était producteur pour la compagnie anglaise Picture company. Nous avons travaillé avec eux et George Faber pour ce qui est, à mon goût, une superbe réussite. Nous avions un peu peur de travailler hors du cocon fabriqué à Baltimore mais en fait, il nous était impossible de mener de front la dernière saison de « The Wire » et la préparation et l'écriture de « Generation kill ». Cela étant dit, je dois quand même dire que le travail a été facilité par la présence d'Evan Wright lui-même. C'était lui, le journaliste assis dans le Humvee en 2003 et son point de vue ainsi que ses idées étaient essentielles pour le projet. C'est son histoire et notre mini-série relate cela.
EV : Qu'avez-vous fait durant la grève menée par WGA contre les studios et les networks ?
J'ai fait pas mal de travail de post-production et j'ai supervisé la fin de la production de « Generation kill », il faut dire que la firme qui produisait la mini-série n'était pas affiliée à la WGA et le projet était terminé au 5/6eme. Stopper le travail à ce moment pour moi aurait été stupide et improductif, cela dit je n'ai rien écrit durant la grève de la WGA que je soutenais totalement. J'étais très partisan de finir la mini-série car je pense qu'elle serait plus à sa place diffusée en pleine élection présidentielle. Il était donc plutôt bien vu de mener le projet jusqu'au bout.
EV : Cette grève, qui l'a gagné au final ?
La WGA a remporté des choses mais les studios ont réussi à conserver des acquis. La grève était une nécessité. La position des studios concernant les futurs revenus numériques était complètement scandaleuse. En fait, nous aurions dû régler cette question il y a trois ans voire même six. Malheureusement, à cette époque, la guilde des auteurs était dirigée par une poignée d'incapables qui ont préféré jouer la carte de leurs intérêts personnels car ils étaient liés avec les studios. La situation s'est dégradée et lors de la grève 2007-2008, il était dur de négocier quelque chose. Aujourd'hui le problème des revenus sur les DVD est un problème. Si vous ne me croyez pas, je vous montrerai mes relevés de residuals (NDA : sorte de droit que l'auteur au moment des diffusions ou d'un achat en DVD par exemple). Sur les ventes de DVD de « The Wire ». Je reçois des chèques de 19 dollars, 22 dollars… Nous n'avons jamais eu une part du gâteau du lucratif marché des DVD parce qu'elle n'a jamais été négociée. C'est pour cela que nous avons décidé de nous accrocher avec les nouveaux médias. Il aura fallu la grève de ces derniers mois pour que nous en parlions.
EV : Comment voyez-vous le futur de la télé américaine ?
Je sais une chose : le système des audiences mésurées par Nielsen est dans une phase de mort lente. La télévision US va se transformer en quelque s'approchant d'une bibliothèque de prêt avec des téléspectateurs qui voudront regarder exactement ce qu'ils veulent au moment où ils le veulent. La popularité d'une série va se mesurer en épisodes téléchargés en VOD. Le dimanche soir, tout au long de sa carrière, « The Wire » a attiré en moyenne un million de téléspectateurs. Mais finalement, nous étions intéressants pour HBO car nous générions de solides VOD, le passage sur HBO2 un peu plus tard dans la semaine n'était pas négligeable non plus et nous étions parmi les séries les plus téléchargées illégalement. Je ne parle même pas des 500 000 DVD vendus. Etre avec HBO me permet d'écrire des séries ambitieuses mais aussi de travailler avec un diffuseur qui a compris les nouvelles données de l'internet.
EV : Avez-vous l'impression d'avoir été influencé par d'autres séries TV ?
Je ne suis pas un enfant de la télévision. Je la regarde très peu. J'admire le travail effectué sur « The Sopranos » ou « Deadwood » et j'ai découvert récemment les joies de « Weeds » sur Showtime. J'ai aimé regarder « The Honeymooners » quand j'étais gamin mais ça s'arrête à peu près là. Je lis beaucoup et j'utilise une logique tout droit sortie des structures cinématographiques plutôt que des formes imposées de l'écriture télé classique. C'est une façon de raconter des histoires qui me convient mieux.
EV : « The Wire » raconte l'Amérique. Une autre série l'a fait, d'une autre façon, il s'agit de « The West Wing » d'Aaron Sorkin. Voyez-vous des points communs entre votre série et la sienne ?
Il n'y a pas de liens que je puisse réellement discerner. J'ai vu assez d'épisodes de « The West Wing » pour conclure que la série ne restitue pas les réalités de la politique américaine d'aujourd'hui. Du coup, ça ne m'intéresse pas. Pour le reste, ça semble très bien écrit mais c'est bien trop théorique pour moi. Ça ne restitue pas assez selon moi l'effet d'inertie qui caractérise notre système actuel.
EV : Quel sera votre prochain projet ? Souhaitez-vous développer un nouveau projet dans l'univers de Baltimore ou vous sentez-vous prêt à partir à L.A ou New-York ?
Ça sera La Nouvelle-Orléans si tout se passe bien. J'espère pouvoir créer une série basée sur un quartier renaissant dans l'après-Katrina. Un endroit dans lequel des musiciens mais aussi des gens de tous les jours tentent de reconstituer leurs vies.
EV : Selon vous, quel est le futur de la télévision en terme de modèle économique et de production ?
Aujourd'hui, la narration audiovisuelle dépasse toutes les autres. Ce qui est plutôt regrettable car les livres restent un moyen inégalé pour faire passer des nuances et traiter des thèmes que l'audiovisuel ne peut approcher ou alors de manière ampoulée et artificielle. En 50 ans d'existence, la télévision américaine a dû s'adresser à une audience de masse pour laquelle elle a dû créer une narration évitant le plus possible les controverses, les sujets trop pointus ainsi que les sujets les plus tabous. Le câble a profondément changé cet état de fait et internet sera le prolongement de cela. Aujourd'hui, le câble payant autorise la production de séries avec des points de vue très forts, des questions politiques et une écriture intelligente. Les chaînes qui produisent de tels programmes n'ont pas besoin d'audience monstre. Elles produisent des séries pour lesquelles quelqu'un accepte de payer une somme d'argent pour s'abonner à la chaîne. « The Wire » n'aurait jamais pu exister sur un network. Elle n'aurait jamais eu une audience nécessaire. Le fait que nous soyons sur HBO qui cherche à diffuser des séries qui ne passent nulle part ailleurs, nous a permis de durer cinq saisons. Quoiqu'on en dise, l'avenir est plutôt à ce genre de production qu'à des séries de grande écoute. Et moi, ça me plaît.
Eric Vérat • mars 2008
mardi 29 septembre 2009
mardi 8 septembre 2009
Quoi, tu ne regardes pas Glee ?
Alors que toutes les nouvelles séries US sont sur le point de commencer (Flash Forward...), une question se pose comme chaque année. Comment réussir à regarder tout ce que l'on voudrait regarder entre les nouveautés, les séries en cours et les oeuvres à rattraper. Je m'aperçois en parcourant les piles de DVD qui jonchent le sol de mon bureau que je pourrais facilement me passer d'achats ou de prêts ou de dons de séries pendant au moins une saison.
Le problème c'est que l'on peut bien regarder l'intégrale de "Clair de lune" ou "Hill Street blues" dans son coin, pendant ce temps-là le monde avance. Trop vite, beaucoup trop vite. Les intégrales avalées en quinze jours, c'est n'importe quoi ! Je me répète peut-être mais je trouve que rien que pour ça, le téléchargement ne devrait pas être autorisé sur la toile (en dehors de toute question éthique ou légale). Quand on prend la comparaison avec les livres, Martin Winkler dit qu'il est aussi bête de parler d'une série dont a vu qu'un épisode ou une saison (alors que ledit programme en compte dix fois plus), que d'arrêter un livre après un chapitre ou deux et vouloir en parler avec autorité. La nature des séries est différente me direz-vous. Ces programmes s'étalent sur la longueur. Longueur, un mot qui aura bientôt disparu de la circulation tant aujourd'hui tout va vite. Tout est possible à n'importe quel moment (je parle des séries mais cela s'applique aussi aux pizzas). Sans vouloir faire l'ancien combattant, j'ai vécu une enfance à trois chaînes. FR3 était et noir et blanc et TF1 a révolutionné le PAF en diffusant de la télénovela à 19H. J'ai vu des milliers d'heures de télévision. Et il n'y a rien que je ne regrette plus que ces petits rendez-vous à heure fixe où l'on se délectait de savoir qui avait tué ou trahi. On avait également le droit d'être déçu. Tout ça, c'était des moments précieux : "Twin Peaks" à 21h le mardi sur La Cinq, "La Loi de Los Angeles" le mercredi soir tard sur la même chaîne, "Hill street blues" au tout début de Canal, "Seinfeld" le dimanche soir sur Jimmy, "Un flic dans la mafia" en début d'après-midi sur TF1, "Urgences" sur France2. Bon, je pourrais en faire quinze pages donc je m'arrête là. De toute façon, ceux qui n'ont pas connu ça, ne peuvent pas comprendre. Tout ça pour dire que les séries sont précieuses et que j'ai trop souvent l'impression d'une boulimie d'images qui ne sert à rien sinon à appauvrir le genre et à le comparer à un robinet de niaiseries.
Le problème c'est que l'on peut bien regarder l'intégrale de "Clair de lune" ou "Hill Street blues" dans son coin, pendant ce temps-là le monde avance. Trop vite, beaucoup trop vite. Les intégrales avalées en quinze jours, c'est n'importe quoi ! Je me répète peut-être mais je trouve que rien que pour ça, le téléchargement ne devrait pas être autorisé sur la toile (en dehors de toute question éthique ou légale). Quand on prend la comparaison avec les livres, Martin Winkler dit qu'il est aussi bête de parler d'une série dont a vu qu'un épisode ou une saison (alors que ledit programme en compte dix fois plus), que d'arrêter un livre après un chapitre ou deux et vouloir en parler avec autorité. La nature des séries est différente me direz-vous. Ces programmes s'étalent sur la longueur. Longueur, un mot qui aura bientôt disparu de la circulation tant aujourd'hui tout va vite. Tout est possible à n'importe quel moment (je parle des séries mais cela s'applique aussi aux pizzas). Sans vouloir faire l'ancien combattant, j'ai vécu une enfance à trois chaînes. FR3 était et noir et blanc et TF1 a révolutionné le PAF en diffusant de la télénovela à 19H. J'ai vu des milliers d'heures de télévision. Et il n'y a rien que je ne regrette plus que ces petits rendez-vous à heure fixe où l'on se délectait de savoir qui avait tué ou trahi. On avait également le droit d'être déçu. Tout ça, c'était des moments précieux : "Twin Peaks" à 21h le mardi sur La Cinq, "La Loi de Los Angeles" le mercredi soir tard sur la même chaîne, "Hill street blues" au tout début de Canal, "Seinfeld" le dimanche soir sur Jimmy, "Un flic dans la mafia" en début d'après-midi sur TF1, "Urgences" sur France2. Bon, je pourrais en faire quinze pages donc je m'arrête là. De toute façon, ceux qui n'ont pas connu ça, ne peuvent pas comprendre. Tout ça pour dire que les séries sont précieuses et que j'ai trop souvent l'impression d'une boulimie d'images qui ne sert à rien sinon à appauvrir le genre et à le comparer à un robinet de niaiseries.
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