vendredi 10 avril 2009

REDIFFUSION : Dans la peau d'un auteur de série TV à L.A





Que se passe-t-il dans la tête des scénaristes qui conçoivent, semaine après semaine, les sitcoms Outre-Atlantique? Balade à Hollywood durant quatre semaines de la vie d'un show et de l'un de ses scénaristes.
Un papier publié dans Synopsis, il y a quelques années déjà. Le système, en tout cas pour les comédies, reste le même.


« Travailler dur, tout tenter, faire de son mieux, si après ça, ça ne fonctionne toujours pas, alors... fuck it ! » Telle est la devise d'Eric Preven, la petite trentaine, scénariste fantasque dans un Hollywood qu'il n'arrête pas de découvrir toujours un peu plus, saison télé après saison télé. Après avoir travaillé sur "Santa Barbara" dans les années 80, Eric Preven a traîné sa casquette et ses costumes un peu trop larges dans une jolie brochette de shows parmi lesquels "Partners" puis "Boston Common", "Something So Right" et un drama ado pas bête du tout nommé "Popular". Aujourd'hui il consacre une bonne partie de son temps à des master-class dans le monde entier. Et à l'époque de notre venue, il tavaillait sur "Reba".

WEEK ONE

LUNDI. Eric Preven et son partenaire bouclent une réunion de travail au cours de laquelle ils ont écrit autour du thème : « Comment une divorcée avec des enfants et des petits-enfants sous son toit peut faire pour avoir de nouveau une vie amoureuse ? ». Leur conciliabule dure près de cinq heures dont trois à réellement mettre l'histoire en place. Ils vont aller la « pitcher » à la production. La production, c'est celle de "Reba", une sitcom produite par 20th Century Fox et diffusée sur WB. Contre tout attente, "Reba" fait partie des gagnants de la saison 2001-2002. Elle met en scène Reba McEntire – par ailleurs véritable star de country qui interprète dans cette sitcom le rôle d'une femme dynamique entre deux âges qui voit revenir sous son toit toute sa progéniture (enfants, petit-enfants) ce qui l'oblige bien évidemment à changer de vie. Travailler sur une production qui effectue une saison complète, de septembre à mai, n'est pas de tout repos. La production d'une sitcom est une machine infernale. Quand un épisode est diffusé, un autre est en tournage, un autre en post-production (mixage, trucage.. .), et plusieurs autres en écriture à des stades différents. « Pour nous, la saison commence mi-juin, explique Preven. Une première équipe est réunie pour décider des grandes orientations du show durant la saison qui arrive. Nous essayons d'avoir une vision globale sur la saison qui permettra des développements dramatiques pour chacun des personnages. Cette période peut durer quelques semaines. Et puis, commence la période des thèmes. Trouver des thèmes d'épisodes est le truc le plus important pour un membre du staff d'écriture dans une sitcom. Parfois, trouver un épisode peut prendre plusieurs jours, même à un paquet de cerveaux travaillant ensemble. La majorité des staffs de sitcoms sont constitués de sept à douze auteurs. Les auteurs travaillent en groupe, ce qui n'est pas toujours facile car vous vous retrouvez en compétition avec vos pairs. Il est important que chaque auteur ait l'impression d'apporter sa contribution à l'équipe. »

MARDI. Eric et son partenaire ont une idée de ce que pourrait être l'épisode.
« A ce stade, nous passons des heures à nous demander à quoi l'épisode pourrait ressembler. Quel est le bon ton pour notre show? En fait, il existe des millions de façons de confronter Reba au monde de la drague. .. Mais quand vous savez que l'idée doit plaire à votre patron, le showrunner, au style et aux goûts de Reba, la vedette, et aux demandes du network - qui veut, par exemple, que les situations soient plus réalistes cette saison - croyez-moi, nous arrivons avec une toute petite liste de propositions. » Finalement, l'idée retenue par le showrunner est celle qui voit Reba s'immiscer dans les aventures de sa fille et de son petit copain. Elle profite de cette liaison pour rencontrer le père du prétendant de sa fille qui s'avère être un goujat.

MERCREDI. « Nous écrivons une ébauche d'histoire avec des débuts de gags sous la direction du showrunner qui vérifie et valide les pistes vers lesquelles nous partons. »

JEUDI. L'idée est présentée à Reba McIntyre. Le show-runner lui pitche une version de notre histoire. L'actrice n'est pas que la vedette de la série, elle en est aussi productrice. « On espérait qu'elle l'aimerait. Elle l'aime, mais avec quelques idées à la clé. Reba n'est pas simplement une personnalité à l'écran... ». Reba Mc Intyre a en effet par contrat droit de modifier certains aspects des histoires qui la concernent.

VENDREDI. Le showrunner pitche l'idée de l'épisode au network qui valide le sujet.

WEEK TWO

LUNDI. « Nous écrivons un plan d'épisode tout en l'annotant précisément de différentes indications pour la suite. Mon expérience me fait dire qu'il est préférable d'éliminer les problèmes de narration dès la phase du plan. C'est mieux que de se précipiter pour écrire une première version que nous allons charcuter. Cela dit, tout dépend du moment où vous vous situez dans la saison. Pour les épisodes 17 à 22, vers la fin de la saison donc, le temps presse, il est donc plus difficile de fignoler. »

MARDI. « Nous ne nous rendons pas au bureau. Chacun écrit chez lui une version des trois premières scènes. Je commence vers six heures du matin, après avoir piqué une tête. je transmets par emails les scènes que j'ai écrites. Mon partenaire va beaucoup moins vite. Il reprend consciencieusement chaque réplique. Il pense toutes les situations. »

MERCREDI. « Je passe la vitesse supérieure en terme d'écriture. Je me hâte d'envoyer la révision des trois premières scènes à mon partenaire. Il évalue mes changements et valide les modifications. Un des challenges dans la fonction de membre d'un pool d'auteur, c'est que lorsque vous vous isolez pour écrire un script que l'on vous a commandé, vous sortez très vite des affaires courantes du show pendant un épisode ou plus. Parfois, s'éloigner du groupe d'écriture est exactement ce qu'il vous faut. Pour respirer. Ça change des journées à travailler étroitement avec dix autres personnes dans des locaux exigus où l'on a l'impression d'être des technocrates mettant au point un round du GATT. .. Le tout avec des délais quasi impossibles à tenir pour produire un show humoristique et éventuellement intéressant. »

JEUDI. « je viens de finir une version du script de 42 pages. Entre-temps, mon partenaire m'a envoyé sa version du premier acte. je parcours le script à la recherche de petites choses à corriger et je les annote. »

VENDREDI. « Mon partenaire m'a envoyé hier soir très tard sa version finale du script. Elle n'est pas très différente de la mienne. j'aime beaucoup la plupart de ses améliorations. Aujourd'hui, nous nous voyons pour régler toutes les zones d'ombre. Nous parlons de ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas. Nous décidons de travailler samedi afin de finaliser les problèmes liés au découpage en actes et réécrire la fin. »

SAMEDI. « Je me rends chez mon partenaire Ari. Il travaille dans une petite cabane de jardin améliorée en bureau. La réécriture prend plus de temps que prévu. Mais nous avons finalement trouvé une solution. On imprime le script et on se donne jusqu'à lundi en tout début de matinée pour effectuer des corrections et des coupes car le script a enflé de quatre pages. »

WEEK THREE

LUNDI. « Je tourne comme un lion en cage. Mon partenaire est en retard et j'ai un paquet de nouvelles remarques. Comme nous approchons de la fin, l'ambiance est différente, nous sommes noyés dans notre texte sans plus avoir de recul sur ce qui est marrant et ce qui ne l'est pas. »
Eric Preven avoue être le fonceur du duo, il défriche les idées, les situations et les répliques. Ari, son collègue est plus mesuré, il repasse derrière pour contrôler la cohérence du récit et des actions qui se succèdent.

MARDI. "Le retour de la prod est bon... mais jamais assez bon !" Le texte accepté, le script entre dans le processus du tabling (littéralement, de la table) durant lequel l'épisode va être lu devant tout le staff des auteurs. Chacun va essayer d'y apporter quelque chose. Le showrunner a le dernier mot et tranche quand il y a des arbitrages à faire. Une étape à l'occasion de laquelle les susceptibilités sont mises à rude épreuve. "Au début de ma carrière, cette phase était très douloureuse. Voir ses expressions, ses jeux de mots et ses répliques complètement transformées, même en mieux, m'était insupportable. Aujourd'hui, en tant que vieux routier de l'écriture, j'accepte aisément ce type de processus. C'est la nature du job qui veut ça."

MERCREDI. Lecture collective de l'épisode écrit par Eric Preven et son partenaire. Tous les acteurs et les auteurs se rassemblent pour lire l'épisode. Le réalisateur et les responsables de la chaîne et du studio prennent des notes et demandent des modifications. Après la lecture, les acteurs ont une petite répétition avec le réalisateur tandis que les auteurs réécrivent. Sur Reba, le rewriting se fait au moment du dîner. Les scripts sont envoyés aux acteurs le soir. Ils peuvent ainsi lire les changements effectués durant la nuit.

JEUDI. Les acteurs répètent avec le réalisateur et les auteurs qui sont arrivés sur le décor vers 16 h pour se rendre compte de ce que donne le rewriting. Les auteurs réécrivent à nouveau par rapport à tout ce qui ne va pas. Ça peut prendre plusieurs heures, quelquefois moins. Une nouvelle version du script est donnée aux acteurs pour qu'ils intègrent les changements.
« Sur ce show, ce qui est cool, c'est de travailler avec des comédiens qui vont jusqu'au bout de ce que vous leur écrivez. »

VENDREDI. Meeting entre le studio et le network dans l'après-midi. Des remarques encore. Des petites révisions sont faites après-coup. On ne travaille pas le week-end.

WEEK FOUR

LUNDI. L'équipe de tournage se prépare pendant cette journée. On en profite pour régler les lumières et fignoler les décors et les accessoires disponibles par exemple.

MARDI. Jour du tournage. "Une scène sera tournée en avance. Une scène en voiture que l'on ne pourra pas jouer devant le public. Après cela, vers 18 h, on commence le tournage de l'épisode devant trois cents personnes. Un détail : durant la semaine de répétition, une chose que les auteurs font durant les successives lectures, c'est de rire. Pour un observateur extérieur, ça peut paraître vaniteux de rire de ses propres gags mais, sincèrement, ça aide à faire avancer le processus. En riant là, où ça doit être drôle, nous donnons aux acteurs des indications sur les moments où les rires auront lieu quand ils joueront devant les caméras et le public. Un épisode de sitcom est quelque chose de très rythmé. En riant, nous leur donnons la marche à suivre. Un peu comme un chef d'orchestre qui bat la mesure. »

Dans une saison normale de 22 épisodes, Eric Preven recommencera trois ou quatre fois ce processus. Le reste du temps, il est un membre du staff d'écriture qui participe au peaufinage des scripts écrits par ses collègues.
« Travailler à Hollywood est traditionnellement une combinaison de talent et de persévérance. Certaines personnes ont plus l'un que l'autre. Je sais que l'absence de formule magique agace certains notamment ceux qui dénigrent le côté industriel d'Hollywood mais c'est pourtant comme cela que certaines perles ont vu le jour et pas autrement. Dans ce système d'intense compétition Pour tous les dramas merdiques, il y a un Sopranos et pour toutes les sitcoms abêtissantes, il y a un Friends. C'est ça, Hollywood."

REDIFFUSION : L'art du dialogue des comédies US



Les dialogues constituent le matériau de base des sitcoms. Ce qui en fait la saveur. Les Anglo-Saxons sont passés maîtres dans l'art d'écrire les dialogues savoureux de ce genre télévisuel. Une affaire de culture et de contexte.

Même si les adaptations en VF ne le montrent pas toujours, les fictions angIo-saxonnes en général et américaines en particulier s'appuient systématiquement sur des dialogues solides et de qualité. Depuis des décennies, la machine tourne à plein régime donnant régulièrement naissance à des grands classiques ("The Honeymooners", "All in the family", "Cheers", "Seinfeld", "Frasier", "Friends"). On annonce régulièrement la mort du genre, et régulièrement il renaît de ses cendres. Cette capacité à créer chaque saison toujours de nouveaux concepts n'est pas un hasard, elle est le fruit d'un véritable réflexe culturel au sein d'une nation tout entière tournée vers la télévision. Les Etats-Unis ont trouvé en la télévision une manière d'être unis. La forte concurrence qui s'exerce entre studios ou networks, l'apparition de productions de qualité sur le câble et chez les indépendants ces dernières années, n'a fait que renforcer cet état de fait.
Résumons, si les sitcoms anglo-saxonnes sont ce qu'elle sont c'est qu'elles bénéficient d'un contexte particulier.

La sitcom est née dans les années 50 avec "I love Lucy" (1) (1951, CBS). C'est la comédienne Lucy Ball et son mari Dési Arnaz, qui en refusant de quitter les plages de L.A (où ils travaillaient pour la radio), vont imposer l'idée des tournages côte Ouest, en public (ce qui était déjà la cas à la radio) et filmer en multi-caméra sur l'idée de Karl Freund, un opérateur de Fritz Lang pour optimiser les tournages. Depuis, les Etats-Unis n'ont cessé de perfectionner les techniques de production permettant le tour de force de sortir une vingtaine d'épisodes par saison (soit l'équivalent de plusieurs long-métrages) dans un prime-time où l'on a pu compter jusqu'à 60 comédies par saison au milieu des années 90 ! La sitcom a été, dès ses débuts, associée à la famille, elle a eu le temps, depuis d'explorer bien des domaines de la société (le travail, les amis…) tout en restant un mode privilégié pour marquer toutes les évolutions de la société (mère célibataire, famille recomposée, Américains issus de l'immigration…). La forme ayant été depuis bien longtemps maîtrisée, c'est le fond qui est désormais le lieu de constantes innovations. Et l'évolution des dialogues n'est pas le moindre des bouleversements. Eric Preven, auteur alors sur la sitcom « Danny » et depuis sur « Reba », nous déclarait au début des années 2000 : « l'anglais est une langue propice à ce que j'appelle des sub-langages, des langages périphériques inventés avec des mots utilisés dans un autre contexte. C'est comme ça qu'un mot banal va prendre un sens très différent. L'anglais est également propice aux néologismes. J'essaie d'imaginer comme ça doit être cool de voir un truc issu d'une torsion improbable de votre cerveau devenir le mot fétiche de 15 millions d'américains… »

L'inspiration, les scénaristes américains la trouvent dans la vie de tous les jours. C'est ce qui permet un renouvellement constant du genre. Les scandales politiques ou financiers, les faits sportifs, les affaires criminelles, les tendances culturelles, tout est repris par les comédies de situation qui prennent le pouls de la société américaine. Les dialogues contiennent des piques contre George W.Bush, Britney Spears ou le dernier Bruce Willis… En regardant les sitcoms, et les fictions en général, on peut apprendre énormément du contexte américain de chaque époque. Une réactivité qui fait beaucoup pour fidéliser le téléspectateur.

La place de l'auteur dans l'industrie télé américaine est stratégique. La télévision fonctionne à l'inverse de sa grande sœur le cinéma. Ici, c'est l'auteur qui commande. L'auteur, appelé, d'ailleurs dans la terminologie hollywoodienne de la télé, un « producer », est présent sur le plateau pour effectuer les modifications. Son travail sur le script est respecté à la ligne par le réalisateur. Le rôle primordial de l'auteur est encore plus vrai dans le monde de la comédie de situation où la mayonnaise du gag repose sur l'alchimie qui s'opère entre l'auteur du script initial et les différents interlocuteurs (showrunner, star, exécutifs des studios, de la chaîne, autres auteurs du pool) qui vont relire ledit script et le modifier jusqu'à, voire parfois pendant le tournage. Le tout en quelques jours. Si on loue le système américain, il faut aussi le démythifier. Pour beaucoup d'auteurs, travailler en pool est une épreuve occasionnant beaucoup de frustration. La copie est revue jusqu'à ce qu'elle plaise à l'ensemble des créatifs de la série. Cette phase est assurément importante. Les auteurs mettent beaucoup d'eux-mêmes dans les scripts. Ils acceptent toujours les remises en question. C'est le business qui veut ça. Les dialogues peuvent être ainsi modifiées jusque pendant le tournage si, par exemple, le public ne rit pas suffisamment à un bon mot. David Goetsch, Producer sur « 3eme planète après le soleil » et « Game Over », analyse : « Une série bien écrite, avec de bons dialogues, créé quelque chose en vous. Ça vous fait rire, ça vous parle d'une manière ou d'une autre, ça vous apprend des trucs parfois. Pour que ça marche il faut que tous les paramètres soient parfaits. Vous avez besoin d'une caméra braquée dans la direction du bon acteur qui va dire le truc parfait au mec parfait et ainsi de suite. La raison pour laquelle il y a tant de trucs mauvais à la télé c'est que peu de productions arrivent à régler tous les paramètres en même temps. En fait, c'est assez facile de trouver un bon mot. En revanche, il faut tout relier. Chaque nouvelles scène doit tirer l'ensemble de l'épisode. C'est une drôle de chirurgie. »

En France, le genre est moribond. Il a été longtemps dénigré. Les épouvantables expériences AB, plus quelques ratages artistiques de la part de Canal Plus (Mes pires potes, Eva Mag) n'ont pas su compenser les quelques réussites (H, Blague à part). Pour les français, la sitcom reste un format aux intrigues faibles, répliques creuses ou attendues, emballé de jeu stéréotypé. Bill Prady, ancien producteur exécutif de la sitcom « Dharma and Greg », remet les pendules à l'heure. « Je sais qu'en France, la sitcom n'a pas bonne presse. Le public se trompe. Il ne faut pas intellectualiser ces productions. Elles sont des programmes populaires devant être facilement assimilables. La sitcom doit être comparée au théâtre antique ou encore au Kabuki japonais. Dans ces formes d'expressions, les comédiens jouaient avec des masques qui annonçaient leur état intérieur. On les savait tristes, en colère, joyeux, amoureux… C'est un peu la même chose avec la sitcom où les traits sont bien évidemment grossis. Cela se ressent sur le texte. On n'écrira pas les dialogues d'un drama comme ceux d'une comédie de situation ». Les sitcoms prennent naissance dans ce qu'on appelle le Variety Show, du Music-Hall mélangé à de la comédie musicale, des sketchs, de la stand-up comedy. Les premières sitcom abusent toutes de ce mélange de genre avec numéro musical et glissement hors d'une histoire pour en rassembler plusieurs.

L'une des grandes forces de la sitcom Us c'est qu'elle tire son originalité des conditions de production rigides qu'on lui propose. Les chaînes et les studios veulent rire mais ils ne sont pas prêt à le faire de tout et au dépend de n'importe qui, notamment les sacro-saints annonceurs. « Les choses les plus désopilantes sont écrites en dépit des lois qui régissent les standards du genre, explique Eric Preven. Ces lois sont imprévisibles. Elle ne cessent de changer de network en network, de saison en saison, au gré des cibles que vont convoiter les annonceurs et donc les chaînes. C'est un système restrictif. Ce qui est génial, c'est qu'il a permis indirectement la création de l'épisode de "Seinfeld" sur la masturbation ainsi que les plus inoubliables des épisodes de "Cheers" ou de "Friends"… où l'on ne parlait pas météo et qui sont désormais des classiques. Travailler dans la contrainte a souvent été un moteur d'inspiration ». Cette réponse est un leitmotiv chez les auteurs hollywoodiens, comme nous le confirme Dave Goetsch : « Il y a un vieux dicton qui dit qu'en télé la liberté, c'est la prison à 1000%, ce qui veut dire que si vous pouviez écrire absolument tout ce que vous vouliez, ça serait terrible parce que vous ne vous remettriez plus en cause. Je ne suis pas complètement d'accord avec ce dicton, je trouve qu'il y a trop de limites absurdes dans le système actuel. Pour leur défense, je dirais quand même que, dans les chaînes, les gens qui nous dirigent n'ont que quelques mois pour faire leurs preuves sans quoi ils sont virés. » Les auteurs déclarent dans leur grande majorité préférer évoluer avec un garde-fou pour, ensuite, mieux tenter de le contourner. Tout le monde est content.
La structure même de diffusion des épisodes stimule la nature des répliques. Ainsi le découpage des épisodes pour cause de sacro-sainte pause publicitaire oblige les scénaristes à trouver les arguments pour que le public reste pour la suite. Il faut que chaque acte se termine sur un postulat fort, voire sur une phrase cruciale. Là, encore, les auteurs ont l'habitude de ce type de demande et travaillent naturellement avec ces contraintes de structure en tête. Elle font partie du métier.

Concernant l'évolution du langage, on peut même parler d'évolution des mentalités. Un producteur de chez Paramount décrypte pour nous ce qu'on peut et ce qu'on ne peut pas faire: « Aujourd'hui, on peut presque tout dire. Mais on ne peut pas le dire trop souvent. Sur Showtime, F/X ou HBO, vous pouvez encore dire plus de choses tandis que sur les grands réseaux nationaux, tout est encore assez restrictif. Disons que c'est plus facile de dire le mot quand ce n'est pas une insulte, ou dans un contexte négatif, de la colère par exemple, mais plutôt une blague. . . il y a quelques années, vous ne pouviez pas dire "cul" ou "salopè' alors que maintenant vous pouvez mais sans le dire à tout bout de champs. En revanche, vous ne pouvez toujours pas dire "fuck': Sauf dans des séries comme "The Sopranos" "The Shield"... qui passent sur le câble. » En matière de vocabulaire, les Américains, mine de rien, ont beaucoup évolué. On peut entendre dans "Friends" les mots « pénis» ou encore « salope» (« bitch ») qui a été remplacé inexplicablement dans la VF par « toutes des. . . sauf maman» ... c'est le monde à l'envers?

Autre antécédent fort, les séries américaines font intrinsèquement appel à la pop-culture contemporaine et aux séries TV elles-mêmes. Le système se nourrit du système. Cela donne des parodies ("The Simpsons", "Friends", ou les ados attardés de "That 70's Show" évoquant "Star Wars", Jean-Claude Vandamne ou Richard Nixon) et tout un ensemble d'expressions, repris par les fans des shows. Les cibles favorites des comédies sont les soaps ("Friends" et "Days of our lives") ou les sitcoms familio-cul-cul ("La fête à la maison" citée dans "Friends", "Madame est servie" démolie dans "South Park"), les exemples sont légion. Regarder la télé devient plus gratifiant, on fait partie d'une famille avec les mêmes références, les mêmes « private jokes ». Les dialogues jouent sur et renforcent cet état de fait.
La formule qui fait mouche: les Américains n'ont guère à se forcer dans cet exercice tant ils ont été élevés dans une culture où la publicité et le marketing sont omniprésents. « La vérité est ailleurs », « Ne faites confiance à personne» de "X-Files" sont d'habiles te a-sers, des marques de fabrique, qui façon-nent immédiatement la physionomie du show. En sitcom, on a droit à des répliques toutes faites, des expressions qui reviennent régulièrement et jouent quasiment le rôle de logo ; ils permettent aux shows de se démarquer dans le flot des autres fictions. Le soucis de lisibilité au sein d'une télé très compétitive et ses centaines de programmes nécessite d'être très performants. Le « Oh, my god ! » de Chandler dans "Friends", le "suit-up" de Barney dans HIMYM, le « Salut Jerry » de Kramer dans "Seinfeld", le « They killed Kenny » de "South Park", le démontrent très bien. Les auteurs de sitcom osent tout, c'est à ça qu'on les reconnaît. Ils tentent des répliques parfois un peu artificielles ou grandiloquentes, mais qui fonctionnent parfaitement dans le contexte. Il faut toujours se rappeler que les Américains catégorisent leur industrie des programmes dans celle de l'entertainment : littéralement : « divertissement ». Ça n'empêche pas les projets osés. Au contraire. Aujourd'hui, la sitcom est un genre étrange. Ses conditions de fabrication tiennent tellement du grand barnum que seules les structures de production les plus aguerries en matière industrielles peuvent relever le défi. A ce cirque à l'image vieillissante, les chaînes américaines préfèrent de manière générale la one single camera comedy ("Scrubs", "Malcolm in the middle", "Arrested Development") , les comédies de 52 minutes ("Desperate Housewives") ou encore les comédies hybrides mélangeant comédie et réalité où semblant de réalité ("Entourage", "The Comeback", "The Office", "Curb your enthusiasm"). Tout cela n'empêche pas le développement inlassable de nouvelles comédies avec chaque année de nouvelles petites perles ("My name is Earl" "Everybody hates Chris"). Alors c'est quoi la formule magique ? Le mot de la fin est pour Eric Preven : « Tous les sitcom ou comédies au sens plus large répondent chacun à leur façon à une grille très précise de principes dramatiques. Cela dit, un show américain bien écrit ne doit pas être très différent d'un show français bien écrit. Nous avons seulement la chance d'avoir plus de chaînes demandeuses de fictions. Il y a plus d'émulations. Mais les bonnes répliques n'ont pas de frontières. » C'est dit.


[1. Oui, on sait, ce n'est pas tout à fait vrai puisque la première véritable sitcom s'appelle Mary Kay et Johnny Stearns et fût diffusée sur le réseau DuMont de 1947 à 1948.]

jeudi 9 avril 2009

Les bleus, un bon indicateur de la qualité des séries françaises.


Voilà une série pour laquelle je travaillerais volontiers. Dynamique, actuelle, marrante, bien écrite, "Les Bleus", hormis son générique (il va falloir faire quelque chose, c'est vraiment trop cheap...), est une série qui ne fait quasiment aucune faute de goût. Après, bien sûr, vous avez le droit de ne pas aimer, mais peut-être est-ce simplement à cause des réglages entre efficacité, réalisme et comédie (qui est quand même un des fonds de commerce - et une bonne idée de la série). Vous avez le droit de vouloir une série extrêmement sombre ou à vocation réaliste. Si c'est le cas, avec "Les bleus" vous tombez mal. Mais vous auriez tort de ne pas essayer de regarder.
Avec cette série, M6 tient réellement un modèle pour bâtir sa fiction. Non pas que toutes les fictions doivent avoir forcément ce ton de comédie. Non, je voulais plutôt parler de la manière de produire et notamment de la direction artistique (choix des décors, ni trop original, ni trop déjà-vu, casting dans l'ensemble crédible et efficace). La bonne utilisation de l'entremêlement des trames narratives selon le vieux principe de Steven Bochco (structure modulaire) permet également à la série (c'est le cas aussi pour "Sur le fil") d'être très vivante et de ne pas se reposer sur une seule idée (ou enquête) qui, s'il est mal écrite ou mal réalisée, peut plomber l'épisode du jour. Allez ! Avec des séries de ce calibre, on tient le bon bout.